lundi 28 décembre 2009

10 - 4 : Prophétie


10 – 4


J’avais refroidi sous la couette. Cette idée lugubre me projeta à nouveau devant le montage photo sur ma porte d’entrée que j’avais arraché au plus vite. Me revint en mémoire que j’avais fait des photomatons dans le métro, il y avait un mois environ, mais la machine n’avait rien voulu recracher et j’étais repartie sans cliché. Il est plausible qu’à force de coups de pieds, cette foutue machine ait fini par sortir le développement. N’importe qui aurait pu s’en emparer. Peut-être étais-je moi-même l’objet d’un fantasme, d’un délire. J’intéressais. Sans m’en douter j’avais pénétré le cerveau d’un autre. J’avais asservi un esprit, qui retranché dans son anonymat et condamné à mon indifférence, avait eu ce geste désespéré et un peu médiéval de venir clouer la chauve-souris sur ma porte. Cet appel depuis l’obscurité, telle une menace, un ultime recours, témoignait d’une faiblesse. On faisait ma publicité, je devais humblement me montrer digne ce cette reconnaissance. Je me calmais. Monsieur coursait son rêve à demi couché sur sa couverture jaune. Ses pattes arrières grattaient nerveusement le linoléum, les babines retroussées, il croquait le vide ou jappait, tandis que ses paupières s’agitaient sous ses poils. J’avais finalement sombré, meurtrie d’interrogations.


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lundi 21 décembre 2009

10 - 5 : Prophétie


10 – 5


13 heures, le lendemain.

L’heure où mon voisin de gauche sortait, l’œil collé, les plis d’oreiller décalqués sur les joues, pour aller acheter sa baguette et ses croissants.

L’heure où ma voisine de droite déjeunait de crudités et de yaourt en révulsant les yeux devant de journal télévisé. L’heure où le vieil algérien du septième, porte B, relisait, sans les comprendre, ses papiers administratifs. Au moment où le critique littéraire un peu sourd du 7ème, porte A, faisait du thé. Quand la femme du huitième arrosait ses plantes laissant son téléphone en appel en absence. Que le survolté de treize ans du neuvième ratait son cours de géographie et tuait ses ennemis virtuels en réseau. À la cave, les rats modifiaient leurs trajectoires en fonction des pièges qu’on leur avait dévolus. Au sommet, les charpentiers veillaient à la remise en état de la toiture, au-dessus : les oiseaux, les nuages, les avions. Alentour : le monde vu par l’homme. La somme, une planète : la Terre. Et puis tous ces univers hypothétiques qui germaient dans le compost de notre complexité et de nos complexes, des galaxies de questions et l’angoisse d’une réponse comme une sentence fulgurante. Résoudre c’est oublier. Ne pas souffrir c’est omettre la souffrance. Se perdre c’est potentiellement se retrouver. La vie doit être un égarement suivi d’un flash de lucidité.


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lundi 14 décembre 2009

10 - 6 : Prophétie


10 – 6


Quelqu’un venait de balancer un caillou contre ma fenêtre. Je n’osais m’approcher alors que j’aurais pu voir l’individu dans la cour. Il me fallut prendre sur moi d’avancer masquée par les rideaux pour ne finalement apercevoir qu’un mouvement qui filait vers la sortie.

J’ouvrais une fenêtre béante, me penchais au risque de chuter. Monsieur aboya un coup avant de se recoucher en boule.

Une pierre avait atterri dans la jungle de mes géraniums. Je décidais de la rentrer pour l’exposer à une observation minutieuse, je la déposais sur une feuille blanche.

Le petit galet était gravé. L’étrange symbole qui le recouvrait : un triangle barré pointe vers le haut rehaussé d’un point le faisait ressembler à une rune ou à un ogham, à une écriture géométrique ancestrale et énigmatique.

Nous vivons pour être contrariés. Le soleil brille pour tous mais n’obéit à aucun.

Le galet m’obsédait. J’ouvris tous mes dictionnaires, en vain.

J’étais certaine que le point marquait un sens de lecture. Ce symbole me disait quelque chose tout en demeurant insaisissable.

Je mixais les concepts qui bondissaient dans ma boîte crânienne. Je tournais et retournais le galet oint de ma sueur. J’ignorais l’article que je devais écrire. Comprendre, voilà ce qui gobait mes heures, analyser le message. Qui ? Pourquoi ? Combien de temps ? Je voulais savoir. Pourquoi ma vie changeait-elle depuis cette fameuse bourrasque ? Ma routine se transformait en attente. Les recoins familiers de l’appartement mutaient pour laisser s’installer une ambiguïté, une respiration régulière coulait des murs. Le temps ne s’imposait plus de la même manière, j’avais la sensation de me couper du monde ou de m’en laisser détacher, cependant, je n’étais pas seule, quelqu’un dehors pensait à moi.


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lundi 7 décembre 2009

10 - 7 : Prophétie


10 – 7


Le troisième jour.

Je me réveillais fatiguée par mes songes emmêlés. Le ciel bas et anthracite me fit allumer les lumières au lever. On aurait dit que la nuit succédait à la nuit. L’air sentait la pluie, l’humidité pénétrait mes os. Les nuages graves se rapprochaient de nos fenêtres et s’allongeaient en brume épaisse. Monsieur fit son tour avant l’ondée, normal, j’étais (pour une fois) munie d’un parapluie. À peine étions nous rentrés que l’eau lunaire cherchait à féconder le bitume. Les anges changés en gouttes tentaient de fertiliser les âmes urbaines. La joie des campagnes teintait de gris le moral de la ville, des cascades d’eau sale, des trottoirs comme des pataugeoires, pas d’horizon et pas de lumière, que des néons et des flaques aux reflets grotesques. Les pavés luisaient donnant l’impression d’une peau de serpent. Les voitures roulaient au pas, au rythme des essuie-glaces et projetaient des visions dans la lumière des phares.



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lundi 30 novembre 2009

10 - 8 : Prophétie




10 – 8

Mon pain était mou. J’avais préparé un thé au jasmin, je regardais au fond de ma tasse, mon œil s’y reflétait. J’avais la sensation d’être observée par cet œil sage et indifférent qui me laissait penser que cette eau primordiale précédait l’organisation du cosmos.

J’avais quasiment veillé tant j’avais composé de significations à la pierre messagère, or, là, j’étais précisément sereine. Elle ne me taraudait plus, cette histoire n’avait aucun sens...
Un coup retentit à la porte, suivi d’un second moins distinct. N’attendant personne, je n’osais réagir, puis, encouragée par un Monsieur fort de ses grognements, j’ouvrais avec une inspiration profonde. Le couloir était sombre et désert. J’allais allumer et jetais un regard par-dessus la rampe de l’escalier qui se lovait en spirale jusqu’en bas. Pas âme qui vive. De retour, je marchais sur une feuille de papier, je la ramassais. Un nouveau symbole. Je m’enfermais à double tour avant de poser le galet près de la feuille. Il n’y avait aucun doute, les deux coïncidaient, s’imbriquaient peut-être, se complétaient certainement. Un triangle dont la pointe va vers le bas. Cette géométrie harmonieuse m’inspirait la forme d’un sexe féminin.

L’orage continuait de sévir, les canalisations craquaient. Les doigts agiles de l’averse tambourinaient sur les vitres, tantôt dotés d’une sensibilité mélodieuse, tantôt intimant une rythmique libre comme les vents. Les gouttières, telles des gargouilles abstraites, crachaient des flots de paroles en hoquetant. Des vagues se créaient sur les façades luisantes. Les plantes bruissaient et réfléchissaient leurs vertes présences aux rebords des fenêtres. Vus du ciel, les parapluies poussaient en champignons multicolores et se déplaçaient dans un labyrinthe de ruelles. Les oiseaux ne chantaient pas. L’eau forte s’adoucissait, désormais, elle caressait avec magnétisme ce qu’elle pouvait atteindre. Au son du compte-gouttes, je notais la valeur des secondes en priant pour que la lumière revienne. La pluie poursuivait son errance en sifflant. Désormais, elle s’écrasait sur le sol avec mollesse. Les ténèbres étaient moins denses, les nues apaisées reprenaient de la distance. Les couleurs rutilaient. Les odeurs s’intensifiaient. Une lueur jaunâtre s’emparait de la ville tonifiée. Le jour se pointait à l’heure où la lune sortait de sa réserve, un jour en retard.


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lundi 23 novembre 2009

10 - 9 : Prophétie



10 – 9


Le quatrième jour.

J’essayais de reprendre une activité normale. Alors que ce rébus m’avait d’abord effrayée, puis absorbée, il commençait à s’instaurer en jeu codé du quotidien comme si j’avais pris plaisir à faire une grille de mots croisés devant une tasse de cappuccino et un carré de chocolat amer. En premier lieu : la déesse balafrée sur ma porte. Il devait s’agir d’un homme qui vénérait la femme au point de la trouver redoutable. La couleur rouge, celle du sang, de la menstruation, cette empreinte qui m’avait alertée, devait manifester sa peur de la vie, du courant alternatif, elle signait un état passionnel. Ensuite : le triangle tête en haut, traversé d’une ligne. Un personnage en robe ? Enfin : le triangle tête en bas, un réceptacle, un entrecuisse ? La femme était contée dans tous ses états, spirituelle (il l’avait déifiée), terrienne (il l’avait représentée telle une montagne rivée au sol, les bras en ligne d’horizon), sensuelle (il l’avait sexuée). Son esprit démontrait un goût pour la logique. Il n’avait pas dû choisir ce langage mathématique par hasard. J’échafaudais des théories invraisemblables issue de mon imaginaire dévorant. J’esquissais le portrait robot de mon prince de l’ombre. Il finissait par attiser ma curiosité. J’étais sur le qui-vive. Je succombais au charme de l’intouchable. L’intérêt que je lui portais, naissait de ma soif de savoir et de mon instinct aventurier. Il excitait mes sens et principalement le sixième. Il me fallait me frayer un chemin à l’aveuglette au gré des indices qu’il m’octroyait, pour tisser un réseau d’idées qui me rallierait à ses aveux. Nous vivions la genèse de notre relation. Genèse ou déluge ? Se formait entre nous l’embryon d’une connexion, un désir d’infini des possibles.


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lundi 16 novembre 2009

10 - 10 : Prophétie



10 – 10

Vers dix heures on me livra des fleurs, un rosier en pot. J’espérais que le livreur me donnerait une carte, un mot d’accompagnement, une pièce neuve au puzzle déjà composé, mais rien de la sorte ne lui avait été confié. Je le congédiais après l’avoir longuement défiguré. Son attitude grossière et désappointée m’avait convaincue qu’il n’avait pas d’autre rôle à jouer dans cette histoire. Embarrassée que j’étais par le lourd pot de terre, je le déposais tant bien que mal sur la table du salon. Fou d’enthousiasme, Monsieur créait un manège autour de mes jambes qui manqua de me faire perdre l’équilibre, résultat, par maladresse, le rosier fut ébranlé et alla se répandre sur le tapis. Je m’agenouillais dans la terre, les yeux levés au ciel et poussais un soupir d’irritation. Mes mains empoignèrent cette terre et son principe passif me calma. Sa douceur, sa soumission, la fermeté paisible qu’elle contenait me régénéraient. Je sentais l’humilité de l’humus. Je ressentais sa fonction maternelle, rassurante. Elle était celle qui donne la vie et qui la reprend, celle qui génère et celle qui digère. Encore un emblème de la fécondité ! La terre supporte tandis que le ciel couvre. Elle produit les formes vivantes. Elle fait germer les différences.

 
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lundi 9 novembre 2009

10 - 11 : Prophétie




10 – 11


Alors que je replantais tant bien que mal le rosier dans son pot, je découvris un papier roulé en cornet dissimulé entre les feuilles et les épines. Je l’extirpais en me piquant les doigts. Le nouveau symbole me fit immédiatement une impression de déjà vu, seul le sens déterminé par le point le différenciait du premier.

J’eus la vision stupide d’un panneau indiquant les toilettes des dames ; une femme stylisée avec un triangle en guise de robe. Cherchant à me protéger mentalement je souris. Entre mes mains, il devait s’agir de son alter ego, son pendant masculin. La carrure du personnage en imposait ainsi que la marque virile sous la ligne qui le ceinturait. Il se représentait enfin ! Ces deux pièces, si complémentaires, devaient s’imbriquer, se comprendre. Le petit Poucet se rapprochait à pas de loup. Plus l’intrigue avançait, plus sa présence s’intensifiait.

Je regroupais les indices sur mon bureau : le montage photo, le galet tel un presse-papier posé sur les feuilles encore mouchetées d’humidité et de terre, qui installaient progressivement cet inconnu chez moi. Je pouffais à la pensée qu’il disséminait ses objets dans la maison tel un amant qui aurait oublié son rasoir dans la salle de bain, me laissant une marque, une preuve de son passage clandestin. Puis j’avais trouvé mon romantisme inopportun et j’avais songé à me débarrasser de ces objets ensorcelés. Enfin, j’avais renoncé, secourue par la raison. S’eut été faire abnégation. Renoncer au dénouement. Impossible !


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lundi 2 novembre 2009

10 - 12 : Prophétie


10 – 12


Le cinquième jour.

Mes tartines de chèvre chaudes brûlaient à la cuisine. Je m’affolais, trop tard ! Les pompiers arrivèrent, précédés par leurs sirènes assourdissantes. Je soufflais sur la grille et dégageais avec peine le pain calciné. Un homme équipé escaladait la grande échelle. Il passait juste à mon niveau, son casque rutilait, le reflet d’un pigeon passait dans ce ciel de chrome. Que se passait-il donc ?

J’allais m’enquérir de la situation des maniques au bout des bras, auprès de la gardienne de l’immeuble ravie de se voir rejointe. Dans la rue s’exerçait une activité inhabituelle. Une foule s’était amassée et levait la tête, bouche bée, vers un habitat sous les toits de l’immeuble d’en face d’où s’échappait une dense fumée noire. La concierge cancanait pour elle-même. Nous assistâmes au triomphe des soldats du feu qui ressurgirent aussitôt un vieillard sur le dos et le descendirent sous un tonnerre d’applaudissements avant de le transférer à l’hôpital le plus proche.


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lundi 26 octobre 2009

10 - 13 : Prophétie




10 – 13


Je remontais sportivement vers mon appartement. Il y avait une feuille sur mon paillasson. Il était passé. Il m’avait fatalement croisée puisque je montais la garde au bas de l’immeuble avec Madame Kepassa. J’étais tellement prise par l’événement que je n’avais rien remarqué. Je n’y avais pas même pensé. Le roué ! Mais comment avait-il pu préméditer d’être là, au bon moment, pendant l’incendie ? Avait-il improvisé ou bien était-il aussi pyromane ? Monsieur déboulait vers ses croquettes, la queue frétillante. Je retirais mes maniques en réalisant l’absurdité de ma tenue et ramassais le papier sur lequel un triangle pointait vers le haut. Le point était l’unique indice différenciateur du premier triangle. Celui-ci était-il une Pyramide ? Un emblème phallique ? Il était l’heure de déguster la salade qui devait accompagner mes crottins. Je regardais vers la fenêtre et repensais au vieillard sauvé des flammes. "Trop gâteux pour éteindre son gaz !" Avait stipulé madame Kepassa. Le feu, cet élément ambivalent, qui réchauffait, qui cuisait, qui hypnotisait, qui purifiait, mais qui pouvait tout autant obscurcir, étouffer et détruire, partageait mes sentiments souvent contraires. Comme une flamme, je souhaitais m’élever mais, comme elle, j’avais tendance à vaciller. Deux paires de symboles : deux triangles simples, l’un tête en haut, l’autre tête en bas, plus les deux triangles barrés. Le yin et le yang ? Ou, peut-être, la pénétration du Yoni par Linga chez les hindous, autrement dit, l’équilibre créé entre l’eau et le feu ? Je me laissais porter par mon inspiration, or, la vision du vieillard me hantait, je ne pouvais me retirer de l’esprit que ce feu auquel il venait d’échapper, serait sans doute le même qui le dissoudrait bientôt au crématorium. Monsieur finissait sa gamelle. Je terminais mon assiette. Il me fallait consacrer l’après-midi à la rédaction de mon article. Je mettais de côté les élucubrations et me concentrais sur mon sujet. Le chien se motivait pour la sieste. Pourtant, assez tard, l’alchimie de mon cerveau m’illumina.

 
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lundi 19 octobre 2009

10 - 14 : Prophétie

10  – 14


Les tornades…Le jour venteux, c’était l’Air…L’orage…Le jour de pluie, c’était l’Eau. Le livreur m’avait apporté la Terre… Et l’incendie avait propagé le Feu… Le puzzle se composait subitement avec clarté, il s’agissait d’un des emblèmes les plus connus. Comment n’y avais-je pas réfléchi auparavant ? Le sceau de Salomon ! Six triangles équilatéraux inscrits dans un cercle, chaque côté de chaque triangle équivalent au rayon du cercle et six étant presque exactement le rapport de la circonférence au rayon. L’hexagramme constituait l’ensemble des éléments de l’univers. Les deux triangles superposés représentaient-ils l’humain en union avec le principe divin, ou encore, tel que je l’avais déjà analysé, le mariage des principes masculin et féminin ?

Je tentais de comprendre quel rapport existait entre le sceau et moi. La solution était brumeuse, pourtant, l’énigme figurait le nombre six et demain nous serions le 6 du mois. Coïncidence ou évidence ?
 
 
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lundi 12 octobre 2009

10 - 15 : Prophétie



10 – 15


Le sixième jour.

Mes rêves aux allures divinatoires m’avaient laissé un goût salé-sucré en bouche. Le jour s’était levé d’un coup et sa lueur rosée avait muté en lumière crue et franche. Je me levais d’un bond et courrais à la salle de bains inspecter mon reflet. J’étais une trentenaire au physique assez banal, cependant je n’étais pas ingrate. Mes cheveux châtains retombaient en frisottant sur mes épaules rondes. Ma bouche était pulpeuse et naturellement carminée. Mon teint était pâle et uni. Mes cils, désespérément fins et courts, encadraient des iris marron criblés de pépites d’or. Mon visage avait conservé une douceur enfantine, en revanche mon regard était devenu sévère. Je reculais et contemplais avec une hargne toute féminine mon corps nu. Je trouvais que mes seins tombaient depuis mon dernier régime, que mes hanches me donnaient une démarche de génisse, que mes genoux avaient l’air triste et mes orteils que je remuais étaient de petits aliens sur lesquels j’avais dû marcher.


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lundi 5 octobre 2009

10 - 16 : Prophétie


10 – 16


Je soufflais et passais sous la douche pour me détendre. Il me fallait me préparer. Je devais être prête, parfaite. Je ne laissais rien au hasard : l’aqua gommage, effet peau neuve, tonifiait, lissait et revitalisait mon corps, tandis que le gel nettoyant profond assainissait les pores de ma figure et l’exfoliait en douceur. Je moussais de haut en bas, sans oublier mon cuir chevelu que je massais avec un shampoing fortifiant qui pénétrait le cœur de mes cheveux pour les rendre plus forts, plus épais, plus denses, et qui les lissait parfaitement pour les rendre plus brillants, pleins d’énergie. Je rinçais, puis j’appliquais un après-shampoing crème ultra démêlant, qui, d’après des résultats mesurés en laboratoire, offrait à ma chevelure une nouvelle force. Je rinçais, et pour n’avoir rien à regretter, j’étalais deux noix d’un masque régénérant dont le concentré actif m’assurait un soin intensif nourrissant, une résurrection capillaire visible dès la cinquième application. Je me rasais les jambes de près et peaufinais le triangle entre mes cuisses. Je me séchais, m’examinais à nouveau dans un cercle de buée. Pas mal.

Comment dire ? À ce moment précis, je savais. Je savais qu’il viendrait. Aujourd’hui. Cela ne faisait aucun doute. Il viendrait lors de ce sixième jour, le 6 du mois, au 6 de la rue du Cherche Midi dans le 6ème arrondissement. Il monterait jusqu’au 6ème étage. Il viendra vers 6 heures ce soir.




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lundi 28 septembre 2009

10 - 17 : Prophétie



10 – 17



17 h 58

J’étais au comble de l’excitation. Monsieur me suivait dans mon délire, toujours réjoui de m’accorder son amicale et bienveillante compagnie. Je portais ma robe rouge à bretelles et mes chaussures rouges à talons. Je pinçais les lèvres sur mon rouge à lèvres assorti, et, humide d’adrénaline, je me penchais à l’œilleton. Une silhouette se découpait en contre-jour : il était déjà là. Je regardais ma montre : 17 h 59. Nous devions tous deux retenir nos respirations. Je le guettais sans ciller, la rétine collée au ras de la lentille de verre déformante. Il demeurait statique dans l’ombre. Il paraissait me scruter lui aussi malgré la cloison qui nous séparait. J’ai frémi. L’aiguille a marqué l’heure. Il a fait un pas vers moi, assombrissant ma perspective. J’ai fait un pas en arrière butant dans mon chien. Il n’a pas sonné. Il n’a pas frappé. Il s’est lové contre la porte et il a dit :

- « Laisse-moi entrer. Je sais que tu m’attends. »

Sa voix était à la fois suave et assurée. J’ai ouvert.

 
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lundi 21 septembre 2009

10 - 18 : Prophétie



10 – 18


Il était devant moi, beau, frais, plein de promesses. Je l’ai fait entrer. Il souriait, alors j’ai souri. Désormais, les choses semblaient se dérouler comme prévues, telles qu’il les avait prévues en tout cas. C’était une rencontre particulière. Je la comparais aux amours des internautes, qui, après un attrait ou une entente virtuelle, se décidaient à se présenter de visu. Je le recevais avec une attention intempestive et je lui proposais du thé. Il accepta et je l’abandonnais le temps de ma préparation. Une fois seule, j’avais douté. J’avais pâli. J’avais réalisé que j’étais en train de recevoir un parfait inconnu chez moi avec, de surcroît, une application grossière. Avais-je craqué ? La bouilloire criait son signal tandis que je piétinais sur place. Je versais l’eau frémissante sur un thé noir à la rose.
Tout cela est-il bien raisonnable ?
Je regardais la rangée de casseroles, puis la rangée de couteaux, et me repris avant de le rejoindre.

 
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lundi 14 septembre 2009

10 - 19 : Prophétie



10 – 19



Il était chez lui, très à l’aise parmi mes bibelots. Il m’a regardé arriver avec une grande satisfaction et a fait de la place devant lui pour que je pose la théière. Puis, je ne sais pas ce qui m’a pris, me saisissant du sucrier, j’ai lancé d’une voix penaude :

- « Salomon, prendrez-vous du sucre ? »

Il a éclaté d’un rire sans limites. La pièce entière s’en est illuminée. Je ne savais plus où me mettre. J’aurais souhaité pouvoir quitter mon corps et le laisser seul affronter mon malaise. Il avait fini par se frotter le ventre et il avait répondu :

- « Deux pour le sucre. Pour le prénom, c’est David. »

J’étais aussi cramoisie que ma tenue. J’ai regretté ce rendez-vous avant même d’en avoir compris le réel enjeu.

- « Je ne sais plus quoi dire… »

- « Alors évite de parler. »

Mais je suis tout de même sous mon toit !

Il s’était immédiatement radouci.

- « Excuse-moi. J’ai tellement de choses à te communiquer, tant à t’apprendre. Je vais commencer par me présenter. Je m’appelle David Caballus. J’ai 33 ans aujourd’hui. J’exerce mille petits travaux qui me font survivre. Je suis né sous une bonne étoile, bien que j’aie mis du temps avant de m’en rendre compte. J’ai échoué à maintes reprises. J’ai souffert. Il m’a fallu me soigner pour devenir un homme universel. J’ai connu l’épreuve du mal, le péché. J’ai été révolté contre un état persécuteur dont la puissance idéologique n’était qu’une propagande totalitaire. Je me suis perdu dans le culte de la personnalité et des plaisirs alors que je croyais simplement me distinguer. J’ai pâti de mon ambivalence. J’étais perpétuellement en contradiction. Je m’opposais à ce qui me faisait face, sans réfléchir, juste pour contester. J’ai cherché à être l’Autre et j’ai trouvé autrui… »

 
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lundi 7 septembre 2009

10 - 20 : Prophétie


10 – 20



Il reflétait ses pupilles dans les miennes, des trous noirs.

- « Je suis cruellement complexe, pourtant j’ai tiré le bon numéro. Six, c’est le nombre de la création du monde selon la Bible. C’est le bouclier de David, l’emblème d’Israël, le principe et son reflet inversé dans le miroir des eaux. Ce sont les Six directions de l’espace : les 4 cardinales, le zénith et le nadir. J’étais prédestiné à un destin mystique… »

C’était aussi le chiffre de Néron : le sixième empereur (la bête blessée) qui fut à l’origine de la chute de l’empire romain ! La marque de l’Antéchrist, un chiffre apocalyptique ! Un chiffre d’homme.

Il me transperce sans ciller et ses iris n’ont pas de couleurs.

- « C’est un chiffre de femme. Dans l’antiquité, il appartenait à Vénus Aphrodite, le savais-tu ? Cette déesse de l’amour physique a libéré les forces bestiales et irrépressibles de la fécondité. Encore une Ève ! »

J’avais examiné la possibilité de le mettre dehors. J’avais faibli à l’orée de la nuit. Il l’avait distingué. Il s’était montré davantage charmeur. Il m’expliquait pourquoi il m’avait choisie. Comment il m’avait trouvée, guidé par une horde de six. C’était un homme extrêmement naturel, fort de ce qu’il était. Il s’exprimait avec conviction. Il s’était rapproché sans que je m’en sois aperçue. D’un coup, il me frôlait, son haleine chaude achevait sa course sur mon menton.

- « Tu es mon Aphrodite. Ma beauté. Tu ne me quitteras jamais car moi seul pourrai t’aimer toujours. »


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lundi 31 août 2009

10 - 21 : Prophétie


6 – 21



Il m’avait étreinte, ni trop vigoureux, ni trop souple. Je m’étais laissé convaincre. Il m’embrassait et le feu de son corps cherchait à se rafraîchir contre le mien. Il m’enivrait. La sensualité exsudait de ses pores. Une de mes bretelles coulissait sur mon épaule, tel un vampire, il se rua sur ma gorge. Je le rejetai. Il jouissait de mon effarouchement. Ses yeux rebelles luisaient de braises. Il doit être fou pour exister avec autant d’intensité.

- « Tu es faite pour l’amour. Tu es une créature magnifique. Si tu savais comme je te désire ! Loin de Dieu, je ne suis qu’un homme asservi par ses sensations et émotions. Près de toi, en toi, sorti de toi, je suis vivant. Prends-moi. Accepte-moi. Deviens ma fusion, mes sentiments, ma victoire sur la fatalité. »

Il me caressait à nouveau l’avant-bras.

- « Tu sais, une femme m’a blessé, une fois, mais je lui ai pardonné pour mes souffrances. Depuis, aucune n’a dérobé mon cœur. Il est pur. Il est pour toi. Je sais d’instinct que tu es capable d’en prendre soin. Tu es solitaire et cela te pèse. Je suis venu te demander ta main. »

- « Cette histoire est invraisemblable. Est-ce une blague ? »

- « Ne crois-tu plus au prince charmant ? »

- « La réalité m’y a contrainte. »

- « Alors triste réalité ! Offre-toi une nuit de princesse. Qui sait, demain, après demain peut-être serai-je encore là ? De toute manière, je te promets un bon moment. Pourquoi te priverais-tu d’un ami ? Pourquoi renoncerais-tu au plaisir, à la satisfaction ? J’ai remarqué comme tu t’étais faite belle. Tu as espéré ma venue. Tu t’es apprêtée. Quelque chose t’a incitée à chercher à me plaire. Tu attendais en secret celui qui allait changer ta vie. Tu te demandais d’où il surgirait. Eh bien, il s’est déplacé à domicile. Regarde-moi en face et ose me dire que je te laisse indifférente. Pourquoi m’aurais-tu laissé pénétrer ton intimité si je n’avais pas le moindre intérêt ? »

J’étais cernée par sa présence, par son odeur, par l’efficacité de ses paroles et de son stratagème. Il avait subitement tout rempli : mon appartement, mon esprit, mon ressenti. Il visait juste. Il s’était levé. Il avait patienté et, désemparé par mon silence, il avait fui vers l’entrée et il était sorti de l’appartement.
Je m’étais hissée sur mes jambes, je me tenais debout au centre de la pièce vide et j’avais éclaté en sanglots. Que la femme qui n’a jamais cru au grand amour me jette la première pierre ! Bien sûr, j’avais envie de romance. Évidemment, je redoutais la passion. Certainement, je n’étais pas restée insensible. Indubitablement il m’avait émue, pour preuve, je pleurais. J’avais laissé s’échapper la sixième lame du tarot : l’amoureux.


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lundi 24 août 2009

10 - 22 : Prophétie



10 – 22



Monsieur, à qui j’avais imposé une distance, fut relâché de ma chambre et vint me consoler. Il m’oublia et suivit au flair la piste de David. Le chien me lorgna soupçonneux et retourna se coucher en boudant. J’étais à fleur de peau.

Je me torturais. Monsieur déboula vers la porte. Je vérifiais au judas : c’était David avec un paquet cadeau. Je renvoyais Monsieur garder la chambre lorsque David frappa.

- « Attention ! Si tu ouvres je considèrerai cela comme un oui… »

Sa voix pétillait. Il était revenu pour moi. Il n’avait pas abdiqué. L’amour n’est-il pas une noble cause ? »

Mon cœur battait à tout rompre. Des frissons d’adolescente me parcouraient.

J’ai ouvert.

Il m’a enlacée dès qu’il est entré. Il m’a touchée comme s’il m’avait déjà connue. La vitalité circulait entre nous. Il fondait contre moi lascivement et sur son visage je lisais une page heureuse.

- « Tiens, c’est pour toi. »

Il me tendait un paquet, une longue boîte enrubannée de rouge. Je l’ouvrais avec délice. Une superbe robe de dentelle blanche et une lettre.

- « Tu pourrais l’essayer… »

- « Je reviens. »

Je disparaissais dans la chambre où Monsieur trépignait. Je m’empressais de me déshabiller et j’enfilais ma nouvelle toilette. On pourrait croire qu’elle est faite sur mesure. Je récupérais la lettre qui avait glissée sur mon lit et je la lisais avant d’aller le retrouver :

« Tu passeras du plan matériel au plan spirituel. »

Je n’en saisissais pas très bien le sens mais j’étais coquette et enjouée.


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lundi 17 août 2009

10 - 23 : Prophétie


10 – 23




David avait mis de la musique. Il avait allumé des bougies. Mes tensions se décrispaient. Nous avons parlé. Nous avons dansé. Nous avons bénéficié d’indolence. Il me plaisait. Je le tentais. Monsieur couinait de temps à autre. David était mon amoureux surgi du néant. J’étais sa fiancée de dentelle. Monsieur avait renoncé à se plaindre et ronflait depuis peu en frisant les moustaches. Nous dégustions les prémices d’une union soudaine et exaltée. Il m’effleurait de son parfum qui s’émancipait à mon contact et se mêlait au mien afin de créer une intimité. Je me laissais bercer et surprendre, je le cajolais et le taquinais à mon tour.

- « N’as-tu pas faim ? »

- « Je te trouve si terrestre tandis que je ne songe qu’au ciel avec toi ! Si j’ai faim c’est de ton âme et de tes rondeurs. Je suis l’ogre de tes envies. »

- «Tu me trouves trop terre à terre. Est-ce la raison de ta lettre? »

- « Un jour, tu t’es résignée. Tu as accepté de vivre dans le monde dans lequel tu vis. Tu as vendu ton idéal pour t’insérer. Tu t’es payé une petite existence paisible et chiante. Sais-tu ce que prophétisait la Morrigu celtique ? Que la fin du monde viendrait de la confusion des saisons, de la corruption des hommes, de la décadence des classes sociales, de la méchanceté et du relâchement des mœurs. N’as-tu pas la conviction de vivre pareille époque ? Mais tu ne fais rien. Tu fais avec. Tu baisses la tête et tu attends un miracle comme on attend la mort. »


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lundi 10 août 2009

10 - 24 : Prophétie


10 – 24




J’étais à la fois suffoquée par ses baisers et par ses mots qui m’assaillaient avec cruauté. Je le sentais puissant. Je le trouvais insoumis. Pourtant il faisait corps avec moi. Il suivait en ondulant le moindre mouvement. Il captait le moindre souffle. Il avait un comportement animal, indompté, spontané, élastique. Il me respirait à pleins poumons et ses joues s’arrondissaient de contentement.

- « Mais toi, que fais-tu pour changer les choses ? »

- « Je suis précisément ici afin de te l’expliquer. Je vais te sortir de ta routine. Je vais te faire vivre pour de bon. Grâce à moi, tu vas enfin concevoir la véritable valeur des choses. Tu vas te débarrasser de tes préjugés. Tu vas faire peau neuve bien que celle-ci soit exquise… »

Il y croyait alors je l’ai cru.

Malgré cela, d’un coup, il faisait terriblement gris. Le monde extérieur était opaque. David avait cessé de m’enlacer, il m’observait et un voile critique traversait son expression.

- « Quelque chose ne va pas ? »

Il s’était ridé comme accablé par son constat.

- « C’est toi qui ne vas pas… Tu es tellement flexible. Tu es prête à tout sans même savoir ce que tu attends, ce qui t’attend… »

J’avais fait mine de me rebeller, alors il avait froncé des sourcils menaçants. J’avais riposté en détournant la tête :

- « Veux-tu me dire ce que tu entends par ce qui m’attend ? »

- « Non car tu ne le mérites pas. Je te signale ton comportement abject de jeune adulte bêtement résignée et tu répliques avec une sincère obéissance, une niaise révolte, preuve que tu ne comprends rien à ce que je tente de t’expliquer. Qu’importe la révolte d’un autre, ce qui est important, c’est de la sentir vibrer aux tréfonds de soi cette impression que quelque chose ne va pas. Peux-tu la ressentir cette petite boule noire qui t’étouffe ? Cette pointe de vérité qui te tiraille : savoir que l’humain en toi n’est que rarement respecté. Tu dois comprendre que l’essentiel t’échappe, ta propre vie. Tu es conditionnée à ne connaître que des rêves à crédit. Ton existence est un petit budget. »




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lundi 3 août 2009

10 - 25 : Prophétie



10 – 25



- « Dans une seconde tu vas me demander mon matricule. Est-ce bien ainsi que tu comptes t’adresser à mon insignifiante personne ? »

- « À mes yeux aucun être est insignifiant. Il faut voir le monde du point de vue du grand, aussi du point de vue du petit. Tôt ou tard, tu dois accepter le fait que les deux résident en toi, l’infini comme le néant. »

Il avait de nouveau baissé les armes. Sa passion s’explique par son extrême idéalisme. Il dériva vers moi, posa la tête sur mes genoux. Il fixait sur mon visage ses iris plats et ses pupilles béantes.

- « Si tu n’étais pas importante à mes yeux, crois-tu que j’aurais créé toute cette histoire ? »

J’avais souri.

Nous avions laissé nos présences faire connaissance au-delà de nous-mêmes. La lune auréolée filtrait par la fenêtre. Monsieur dormait puisant dans ses songes de chien urbain. David s’était proposé pour faire un thé. Il avait sans doute décelé ma fatigue pointer. Il m’avait laissée prétextant qu’il allait faire comme chez lui.

Chez lui ? Où ce pouvait être ? Un tourbillon de questions m’avait donné le tournis. J’avais fini par le rejoindre à la cuisine. La théière fumait déjà, il ne fit que me raccompagner au salon. Nous scrutions la surface de l’eau parfumée, un voile de fumée s’évasait puis s’allongeait dans un faisceau de lampe.




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lundi 27 juillet 2009

10 - 26 : Prophétie


10 – 26



- « Il te faudrait te faire face pour réaliser ce que tu es vraiment car tu as fini par t’auto persuader que tu n’étais qu’un reflet changeant selon le gré de celui qui te considère, des lumières ou des atmosphères. Non. Tu ne dois jamais te laisser convaincre par un autre. Tu dois être convaincue. Tu ne dois pas être aux yeux des autres. Tu dois exister. Il te faudrait faire la différence entre être et servir la vie. Voilà pourquoi il est un devoir de rejeter le magma des pensées préconçues et des systèmes préétablis afin de s’ébrouer de ces peaux mortes et de pouvoir remettre les choses perpétuellement en question. Il n’y a que l’action qui t’évite la dépression, le stress et le marasme. L’Univers lui-même se nourrit de nos multiples évolutions. Celui qui s’en remet totalement à un autre est perdu pour lui-même. L’acceptation est une forme de stagnation. Tu es comme une graine plantée trop profondément qui tarde à emprunter le chemin de la lumière pour s’élever. La graine ignore qu’elle pourrait se transformer si elle voulait tendre vers le haut, or, tant qu’elle ne ressent que l’obscurité, elle demeure repliée sur elle-même. Elle est présente, pourtant elle ne se développe pas. Elle n’offre que sa perspective au reste du monde, pas de racines, pas de tiges, pas de feuilles, encore moins de fleurs ou de fruits. Il faut affronter la matière pour naître. Il faut se livrer un combat intime dès lors que l’on souhaite progresser. La révolte est une révolution. Une révolution est un mouvement, donc une avancée. Il te faudrait vaincre tes peurs d’enfant sage. Il te faudrait t’opposer à tout ce que l’on t’a appris. Tu devrais faire un tri instinctif entre ce que tu ressens, ce qu’on t’a permis de manifester et ce qu’on t’a obligé à taire. Qui es-tu, nue d’apparence, le sais-tu seulement ? Tant que tu ignores ce que tu es réellement, tu es dans l’incapacité de déceler ce qui t’est nécessaire ou ce qui t’encombre. Tant que tu n’as pas conscience de toi-même tu voles tout aux autres, rien ne t’appartient, rien ne peut te consoler ni t’affranchir. Tant que tu te laisses bercer de fables, tu es faible. Tu dois te surpasser pour générer des idées et produire des choses. Tu dois créer pour remercier d’avoir été créée, aussi pour comprendre ton créateur et t’en détacher dans le but de t’accomplir. Mais pour créer, il faut souvent un pôle positif et un pôle négatif, une rencontre, une opposition salutaire… »



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lundi 20 juillet 2009

10 - 27 : Prophétie


10 – 27


Je l’écoutais et ses paroles m’échappaient tandis qu’elles s’évadaient de sa bouche en escadrons mobiles. Mes yeux s’embrumaient. Mes paupières étaient lourdes. Sa voix semblait de plus en plus légère. Mes iris huileux s’évanouissaient sous l’ombre de mes cils. Des mots. Des mots... Et le poids de la nuit, le soudain épuisement. Je luttais. Je luttais. Je ne luttais plus.

Si j’avais pu imaginer !


D’abord, je n’ai rien compris. J’ai juste trouvé que les choses étaient bizarrement agencées. Je regardais la pièce d’en haut comme si j’étais montée sur un escabeau. Je continuais à l’écouter et la fatigue avait disparu.

- « Ma petite graine, je vais t’aider à trouver la voie vers le ciel. Tu vois ce long tunnel sombre, je vais te permettre de le parcourir, au bout, tu trouveras la lumière salvatrice. »

J’ai trouvé cette phrase suspecte et je me suis vue. J’étais étendue entre les coussins. David était assis auprès de moi. Il m’a mis une petite claque. Je n’ai guère réagi. Puis il m’a asséné un coup sec qui m’a presque ouvert la joue. Je n’ai pas réagi. J’ai paniqué à voir mon corps sans défense livré à cet étranger. D’ailleurs comment parvenais-je à m’observer de l’extérieur ? J’ai voulu descendre de l’escabeau. Je n’ai pas pu.




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lundi 13 juillet 2009

10 - 28 : Prophétie


10 – 28



- « J’ai l’impression que la tisane verveine-camomille-gardénal t’a été bénéfique, mais la kétamine t’a définitivement détendue ! Tu dors comme un mort ma jolie fleurette ! »

Il embrassait ma dépouille.

- « Grâce à moi, tu vas connaître la vérité. Ne t’avais-je pas promis un avenir meilleur ? Tout à l’heure tu ne seras plus l’esclave de la société actuelle. Je vais t’affranchir. Veux-tu que j’ouvre ta cage de serin ? Je sais que tu aurais voulu ce qui m’importe… »

Il replaçait mes cheveux vers l’arrière. Mon animal s’était réveillé, il venait d’aboyer. David se leva, sortit du périmètre. Lorsqu’il revint, Monsieur était avec lui. Mon chien galopa jusqu’à mon organisme inanimé. Il le respira et le battement joyeux de sa queue ralentit. David était parti chercher la laisse qu’il avait dû remarquer dans l’entrée. Monsieur eut un doute, mais l’idée d’une promenade fut proposée et le chien se résigna devant le collier.

- « Assis ! Pas bouger ! Attends-moi là, je reviens de suite. Je vais couvrir ta maîtresse, qu’elle n’attrape pas froid en se reposant. »

David était reparu seul, Monsieur patientait à la porte.


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lundi 6 juillet 2009

10 - 29 : Prophétie


10 – 29



Il s’était penché au-dessus de mon corps pourtant j’observais toujours la scène depuis un angle du plafond.

- « C’est le moment que je préfère. Tu es superbe dans ta robe de dentelle. Sais-tu à qui elle appartenait ? À ma mère. Cette femme qui m’a fait tant souffrir. Elle collectionnait les toilettes. C’était une très belle créature. Les hommes en étaient fous… »

C’est toi qu’elle a aliéné !

- « Elle a été la première… C’est elle qui est à l’origine de tout cela ! »

Il s’agitait et ses propos bifurquaient en échos incohérents. Il était parti fouiller sa sacoche.

- « Les autres étaient-elles nécessaires ? Elles m’ont toutes convié. Elles m’espéraient toutes. Chacune rend hommage à une facette de ma mère, une par robe. Manque de chance pour toi, l’armoire de sa chambre n’était pas encore vide ! »

Il avait sorti une bouteille en plastique et il m’aspergeait. Je ne me réveillais pas. Il est retourné prendre une seconde bouteille et il a continué son manège, imprégnant le tapis, les rideaux, les boiseries. Mon esprit impuissant ne parvenait qu’à tourner sur lui-même. Ensuite, il a regroupé autour de moi les produits ménagers, les bombes, les aérosols, tout ce qui pouvait porter la mention « produit inflammable ».


J’essayais de retenir ma respiration, or, force fut de constater que je ne respirais plus. Il avait fini par s’asseoir. Une certaine lassitude teintait son expression. Il avait sorti un étui de sa veste dont il avait tiré une cigarette.





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lundi 29 juin 2009

10 - 30 : Prophétie


10 – 30


- « Voici arrivé l’instant tant attendu ! Par la main d’un homme tu vas découvrir ta nature divine et tu vas vraiment naître. Par amour je vais te vouer à la lucidité suprême. Tu vas goûter au privilège des élus. »

La cigarette se consumait à une vitesse vertigineuse. Les cendres se détachaient et chutaient en poudre grise. J’étais prise de terreur à l’idée de ce qu’il allait faire. Il savourait son tabac meurtrier.


Était-ce un ultime soubresaut de désespoir ? Était-ce un réflexe instinctif de survie ? Je ne sais pas. Mais j’ai réincorporé mon enveloppe, néanmoins, je ne parvenais pas à en reprendre la maîtrise. Je me sentais fluidique, si légère dans cet organisme rivé au sol, lourd de souvenirs et de sensations. Je lui envoyais mille signaux qu’il ignorait. Je paniquais devant ma propre inertie.


David s’était levé sans que je m’en aperçoive, j’étais trop préoccupée à tenter de tirer mon corps de son néant. Il me salua d’un geste auguste et il prit la fuite entraînant Monsieur derrière lui. Des flammèches courtes s’élevèrent vite en spirales autour de moi. Une fumée grisâtre et de petites détonations me tirèrent de mon vain emportement. Le feu était partout. Des flammes mouvementées balayaient le cadre de l’appartement. Tout ce que j’avais connu, tous mes repères se consumaient. Mes dentelles prirent feu. Je voulais à nouveau sortir de là, quitter la souffrance de ce corps. J’étais prisonnière. Je hurlais sous le crépitement terrifiant de ma peau qui calcinait. Les rideaux étaient des vagues brûlantes. Les meubles se muaient en braises infernales. Les gaz semblaient vouloir refluer par tous mes orifices. Et puis j’ai été aveuglée. Une lumière éblouissante. Une lumière comme un rappel de ce qu’était la douce chaleur. Je me suis comme éveillée. Je dormais dans l’herbe, sous un arbre. Le soleil venait lécher mon visage à travers les feuillages d’un vieux chêne. Je me suis assise et j’ai parcouru l’horizon du regard.




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lundi 22 juin 2009

10 - 31 : Prophétie



10 – 31


J’avais fait un cauchemar. David était au loin entrain de me cueillir un bouquet de fleurs des champs. Il me faisait penser à un papillon butinant entre les boutons d’or, les pâquerettes et les coquelicots. Je me suis levée et j’ai couru vers lui. Les herbes folles chatouillaient mes jambes. Les insectes s’envolaient sur mon passage. Le climat était doux. Lorsque je l’ai atteint, il a tendu un bras vers moi et sa main ouverte m’a stoppée net.


- « Ne va pas si vite ! »

Il a sorti une carte de la poche intérieure de sa veste et me l’a tendue. Il a disparu le temps que je relève les yeux. Le climat a fraîchi d’un coup, j’ai frissonné. J’ai regardé partout autour, or, il n’y avait rien, que la campagne à perte de vue, pas âme qui vive. Là, j’ai pris conscience du fait que je ne connaissais pas cet endroit. J’ai regardé la carte de David et, immédiatement, j’ai reconnu la sixième, arcane majeur du Tarot : l’Amoureux. J’ai marché, longtemps, sans itinéraire. J’ai même espéré la perspective d’un clocher, l’appel mystérieux d’une chapelle. Non. J’avançais dans des herbes de plus en plus hautes et de plus en plus humides. La pluie avait crevé l’écran de nuages. Désormais, j’étais trempée, mes cheveux collaient à mes joues, je tendais un front suppliant vers les cieux pourtant offensifs. J’étais découragée. J’étais vidée. La carte que David m’avait donnée venait de m’échapper des mains. L’encre avait déteint sur mes doigts. Je me suis penchée pour la ramasser. L’arcane 6 du tarot représentant l’Amoureux s’était liquéfié. J’étais horrifiée devant ce qui me restait en main : l’arcane majeur 15 du tarot. 1 + 5 = 6. Le ciel finissait de s’écraser sur ma tête. Mes doigts fourmillaient. J’éclatais en un orage de sanglots et je tombais à genoux, incapable de lâcher la contrepartie nocturne de mon Amoureux : le Diable. Je tremblais spirituellement. Le décor se volatilisa. J’étais bel et bien morte et j’avais vendu mon âme au diable.

lundi 15 juin 2009

11 - 1 : 7 ans



7 ans

11 – 1


Je me prénomme Alix.

J’ai 7 ans, l’âge de raison, l’âge où l’on a le droit de se taire, de tourner 7 fois sa langue dans sa bouche comme ils disent.

Contrairement à ce que l’on peut penser, 7 ans ce n’est pas le septième ciel. Certes, je vis encore un peu l’extase des 7 pêchés capitaux de mon enfance : je suis trop orgueilleuse, j’ai des souvenirs vivants de cordon ombilical. J’ai envie de tout toucher, goûter, connaître et mon insatisfaction me met parfois en colère. J’aime compter les euros de ma tirelire devant mon poster de Picsou. J’adore paresser en m’adonnant à la gourmandise devant la télévision. Le mystère de la sexualité n’est pas un étranger, j’ai déjà plusieurs amoureux à l’école pour vous dire…

Pour obtenir ce que je désire, je fais mon cinéma, de longues tirades plaintives, des bobos placébos, des bouderies de star que le septième art m’autorise. Je devrais faire preuve de prudence et de discernement, on attend tant de perfection de moi. Des 7 vertus, seules la prudence et la tempérance me font vraiment défaut, j’ai foi en ce que je découvre, j’ai espoir en l’avenir qui vit en mon être et la force juvénile, je suis charitable en tendresse et j’ai le sens de la justice. Je ne supporte pas les adultes qui n’appliquent pas ce qu’ils imposent. Je mûris en me régénérant, tous les 7 ans mon sang se renouvelle complètement ; je suis un sang neuf prêt à traverser les 7 océans, à conquérir les 7 continents, l’Europe, l’Asie, l’Amérique, l’Océanie, l’Afrique, j’irai jusqu’en Arctique, jusqu’en Antarctique…

J’irai contempler les 7 merveilles du monde.





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lundi 8 juin 2009

11 - 2 : 7 ans


11 – 2



La semaine prochaine je pars en vacances.

Pour l’occasion, le camping-car des années 80 de mon beau-père est en révision. 7 jours à patienter. Encore quelques heures de classe, le temps d’une gamme de 7 notes en cours de musique, des couleurs de l’arc-en-ciel du cours de dessin. J’attends, mieux, j’espère, le seul jour de la semaine qui n’a pas un nom de planète : ce jour où Dieu se reposera tandis que nous prendrons la route.

Une belle journée ensoleillée, un grand ciel bleu prometteur.

Sabrina (la grande copine de maman) arrive sur les chapeaux de roues avec son sac de sport. Maman regarde son gros ventre dans le miroir avant de peaufiner sa coiffure (on m’a expliqué qu’elle attend des jumeaux depuis cinq mois). Mon beau-père, épuisé de la garde qu’il vient de faire à l’hôpital, se donne du courage la tête plongée dans l’arôme de son café noir. Moi, je suis prête, dynamique, je piétine dans l’appartement, j’observe la finalisation des préparatifs avec engouement. Nous descendons les affaires avec frasques dans les couloirs de l’immeuble parisien puis les chargeons dans le camping-car garé en double file devant chez nous. Maman monte à l’avant à côté de Matthieu. Je monte à l’arrière avec Sabrina. Le moteur démarre, Sabrina perd l’équilibre et tombe les jambes en l’air sur le lit, nous rions. Nous quittons la capitale. Un jour de joie. Les vacances ! Nous sommes au grand complet, vierges de toute angoisse. Je chante et maman reprend en cœur les refrains. Matthieu reste concentré sur la route. Sabrina se laisse bercer par le ronronnement du moteur et l’abstraction du paysage urbain qui défile. Les premiers champs de l’île-de-France nous ouvrent bientôt une perspective. Ça nous change des immeubles en pierre de taille et des HLM à perte de vue. Je compte les poteaux électriques. Je regarde les colliers d’oiseaux perchés sur les fils. Le coton des nuages m’apporte de la douceur. Maman pose la main sur la cuisse de Matthieu, il tourne la tête et lui offre un sourire.

- « Nous arrivons près de Meaux ! »




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lundi 25 mai 2009

11 - 3 : 7 ans


11 – 3



Un camion nous double. Matthieu ralentit. Il ne conduit qu’en de rares occasions et mon père lui a collé la frousse. Mon terrible géniteur a déconseillé de prendre la route avec ce vieux véhicule. Matthieu ne semble pas aussi rassuré que cela vis-à-vis des menaces proférées au cas où il m’arriverait quelque chose. Il est vigilant. J’aime mon père, je lui ressemble beaucoup. Il est chagrin de la situation que maman a instaurée, c’est peut-être pour cela qu’il voit le mal partout. Il devait être amer de rester tout seul, aussi ne sentait-il pas notre départ. Maman l’avait pacifié avec ses intonations de séductrice et mes baisers d’au revoir l’avaient réconforté mais je sais que son regard était étrange alors qu’il disparaissait dans l’ascenseur.

Là, je n’y pense plus. Sabrina s’est endormie assise, j’en profite pour m’allonger sur le lit. Je joue avec mes pieds, pour une fois que j’échappe au siège pour enfant, j’en profite, pas même une ceinture de sécurité dans ce modèle préhistorique sur roues. La belle vie ! Maman est heureuse. Sabrina n’a pas l’air de s’en faire… Derrière la vitre la campagne semble être de plus en plus verte. Les arbres dansent au rythme de notre passage. Sabrina se redresse, je la fixe pour saisir l’instant où elle va rouvrir les yeux mais sa tête retombe mollement sur sa poitrine avant de dodeliner inconsciemment. Dois-je ajouter qu’elle cuve la bouteille de Tavel qu’elle a engloutie hier soir sous l’influence de papa… Ça m’amuse.

Maman regarde droit devant, elle est comme ça ma mère. Matthieu ne relâche pas son emprise sur le volant. Le paysage s’effiloche silencieusement. À mon tour, je suis accablée de fatigue, je lutte afin de continuer à profiter pleinement du moment or mes paupières sont lourdes, si lourdes qu’elles se ferment malgré moi. Je somnole, je dors cependant je suis encore présente, j’entends.


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lundi 18 mai 2009

11 - 4 : 7 ans


11 - 4



Une explosion !!!

Un pneu vient d’éclater à l’arrière. Maman et Matthieu le regardent passer devant eux totalement impuissants. Matthieu raidit les bras sur le volant. Le lourd véhicule vacille. Il dérive vers la droite puis vers la gauche. Mon beau-père a blêmi dans son rétroviseur. Tout va très vite. Gauche – Droite. Par réflexe, maman se retourne et bloque le corps de Sabrina qui ne s’est pas réveillée. Elle croise mon regard dans l’action, j’y lis de l’effroi. Droite – Gauche. Mon cœur s’emballe comme le paysage qui devient fou. Dire que nous n’étions plus qu’à 7 km de chez ma grand-mère, 7, ce satané nombre du châtiment. Le camping-car se prend pour un étalon indomptable qui menace de se cabrer. L’animal de tôle refuse de se laisser maîtriser davantage, il s’abandonne violemment à la route. Je ne suis plus qu’une poupée de chiffon prisonnière d’une machine à laver, un fétu de paille bouleversé par une tempête, je me fracasse en vaguelettes contre l’énormité du récif. De l’Alpha à l’Omega, je vois défiler la totalité de l’Univers créé. Je suis minuscule. Je n’ai aucun pouvoir. De la terre au ciel, je suis au centre des six directions, c’est l’apocalypse. Le monde ne sait plus où aller. Nous subissons. Mes pieds ne touchent plus le sol. Ma tête heurte les parois tel un fruit à la chaire trop tendre. Je vole, j’atterris et me renvole en canari schizophrène pour lequel les limites de la cage sont devenues insupportables. Du ciel à la terre, plus rien.

Elle est étrange cette sensation de vivre quelque chose de grave, il y a de la solennité dans l’exceptionnel.




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lundi 11 mai 2009

11 - 5 : 7 ans


11 – 5



J’ouvre les yeux mais je ne comprends pas tout de suite.

Où suis-je ?

Je ne me pose pas la question très longtemps, une douleur fulgurante et inqualifiable prend possession de mon être, une créature de l’obscurité venue pour nuire. Cette lancinance m’interdit de bouger les membres, elle paralyse jusqu’à mes pensées. Vite, je n’existe plus qu’à travers cette souffrance qui étouffe mes cris. Je ne sais pas ce qu’il se passe. Je suis seule pour la première fois. Le ciel a disparu. Les vacances sont finies avant même d’avoir commencées. On dirait que la nuit s’est abattue sur ma tête en plein jour, une vieille terreur gauloise. La campagne s’est transformée en un magma de débris de verre, de tôle, des formes indéfinissables. J’ai du mal à respirer correctement. Je suffoque. J’ai peur. Un oiseau chante, je l’écoute avec toute l’intensité que je peux trouver dans les forces qui me quittent, la musique de la nature est une berceuse rassérénante. Des images abstraites ou incohérentes envahissent mon esprit. J’ai la sensation d’avoir pénétré un cerveau étranger, d’apercevoir les souvenirs d’une existence qui n’est pas la mienne ou peut-être est-ce l’inverse, une vision extérieure modifie mes perceptions. Je délire. La seule réalité qu’il me reste se résume en ceci : AIE !!!




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lundi 4 mai 2009

11 - 6 : 7 ans


11 – 6



Je délire. Tout n’arrive pas comme prévu. Il y a la chance et la malchance, ce que l’on envisage et ce qui nous dévisage.

J’ai perçu un signal parvenu jusqu’à mes ténèbres. Je tends l’oreille… La voix de ma mère hurlant mon prénom. J’espère la tranquilliser, répondre à son appel déchirant mais ma voix se terre au fond de mon ventre, aucun son ne sort de ma bouche pourtant grande ouverte. La voix de Matthieu rejoint celle de ma mère, une voix de médecin, douce en toute situation, grave. Tristement cette fois, le beau timbre de mon beau-père avec son accent de clinique bute contre l’hystérie de ma mère. Je ne suis pas actrice, je suis témoin de la scène, on m’impose le recul. Soudain, un ouragan de bruit s’abat sur le périmètre de l’accident.

L’ACCIDENT.

Je pleure de désespoir et d’impatience d’être retrouvée. J’essaie de remuer. Impossible ! Cette douleur m’obnubile trop. Je tire sur mes cordes vocales, je suis privée de parole, exilée. La voix de maman se rapproche. Les battements de mon cœur s’accélèrent.

- « LÀ !!! »

Elle se jette à genoux et commence à creuser avec ses ongles.

- « Je t’ai vue ! Tu vas sortir de là ! »

Elle s’évertue furieusement à gagner du terrain jusqu’à moi tandis qu’un pompier tente de la redresser.

- « Ma fille est coincée là-dessous ! »

Ils ne sont pas trop de deux pour la faire tenir en place.

Elle rugit.

Matthieu danse d’un pied sur l’autre comme s’il avait court-circuité son système nerveux. Un troisième pompier intervient :

- « Veuillez-vous calmer madame. Tout va bien se passer. Nous allons dégager votre enfant. C’est notre métier. Ne paniquez pas… Veuillez prendre soin d’elle…

Eh ! Franchin ! Il nous faut du matériel, la gosse est coincée sous le véhicule, on va découper autour pour l’atteindre… »




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lundi 27 avril 2009

11 - 7 : 7 ans


11 – 7



Enfin ! On m’a trouvée ! Je vais revoir la lumière du jour !

J’éprouve un immense soulagement qui me ferme les yeux, je n’entends plus que les battements de mon cœur. On va me sortir de là !

Les gendarmes quadrillent le secteur et contrôlent le flux de la circulation. Les pompiers s’affairent auprès des blessés légers, compte tenu de l’évènement. Les curieux sortent leurs têtes des véhicules qui roulent au pas en longeant le lieu de la catastrophe. J’entends mais je ne suis plus tout à fait là, j’écoute mais je n’entends plus. Silence.

La peur est notre alliée, elle stimule nos réactions et de surcroît elle nous protège, à l’instant, elle m’évite la terreur en me livrant à l’inconscience. Évadée de mes tourments, je suis de nouveau une petite fille heureuse. Je fais un pied de nez à mon corps malade que les pompiers extirpent avec précaution de la carcasse éclatée et chaude du véhicule. On m’emmitoufle dans une couverture d’or, je ressemble à une momie naine dans un sarcophage à roulettes. Un hélicoptère déchire la sérénité étrange de ce ciel encore bleu, il vient pour moi. Les pales tournent faisant penser à un ventilateur géant produisant des bourrasques sonores. J’imagine les hirondelles fuir. On me fait glisser dans l’oiseau de métal peint en rouge qui s’élève sans tarder entre les nuages endimanchés.




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mardi 21 avril 2009

11 - 8 : 7 ans


11 – 8



Je ressens comme un vide tandis que me voici arrachée à la voix de ma mère. Je rouvre des yeux horrifiés comme à la sortie d’un cauchemar. Un homme se penche au-dessus de moi. Il me sourit, me dit que je suis une petite fille très courageuse. Mon sarcophage est si rigide qu’il ne me permet aucun mouvement. Seul mon front plisse d’inquiétude. Je me demande si je pourrais remarcher un jour, courir, sauter, danser, faire du poney. Des tubes transparents me parcourent, l’homme me fait une injection. Moi qui ai peur des piqûres, je ne redoute rien d’autre que la solitude. L’homme m’explique que nous survolerons bientôt Paris. Je retourne à la maison. Où sont mes parents ? Comment va Sabrina ? Je le regarde fixement en retenant mes larmes et d’un coup je recouvre la parole :

- « J’ai envie de faire pipi. »

L’homme commence par rire gentiment avant de s’approcher de mon oreille avec un air de connivence :

- « Tu n’as pas d’autre choix que de faire sous toi. Personne n’en saura jamais rien en dehors du personnel médical de l’hôpital Debré où nous n’allons pas tarder à te déposer. Ils te nettoieront dès ton arrivée. Crois-moi nous en avons l’habitude, n’aie aucun complexe. »

Il n’a pas fini sa phrase que ma pisse se déverse dans la boîte. Elle suit les vibrations de l’appareil qui amorce son atterrissage, elle remonte jusqu’à ma tête, me mouille les cheveux. Je sais que c’est dégueulasse pourtant cette chaleur organique me fait du bien. Pour quelques instants encore, avant qu’on me transfère aux urgences, je suis un bébé calé dans le ventre de sa maman, les sons me parviennent en sourdine et je ressens une sorte de refus de naître tant ce qui m’attend est source de stress.



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lundi 20 avril 2009

11 - 9 : 7 ans


11 – 9



L’injection de morphine me confine désormais dans mes songes fœtaux. Je me souviens à peine de l’infirmière qui s’est occupée de me laver et de me shampouiner alors que j’étais allongée. Je dors. Je ne souffre plus. Je rêve d’hélicoptères posés tels des rangées de moineaux sur les fils électriques qui bordent les routes nationales, de lave-linge célestes, d’horizon qui disparaît. Je bouge dans mon sommeil, je remue autant que je peux, je cavale, je dévale, je m’emballe. Je crie à gorge déployée et les arbres se déplacent pour me voir. J’oublie le monde réel jusqu’au lendemain.

Arrivée tonitruante de mon père entre les murs d’un blanc sale de l’hôpital. Je me réveille. Je sais. Il est là, tout près. Je ne le vois pas encore que déjà je l’entends. Mon beau-père, sa mère et ses frères devaient l’attendre pour accueillir son bouquet de nerfs. Pour une première rencontre, l’occasion est tendue. J’imagine papa fonçant dans le tas, tête baissée, narines fumantes, poings serrés :

- « MAINTENANT QUE VOUS AVEZ FAILLI TUER MA FILLE, VOUS ALLEZ FISSA ME DIRE OÙ ELLE EST !!! »

Matthieu prend sa voix de médecin en joignant les mains dans un geste monacal :

- « Ne vous angoissez pas. Alix a été prise en main par l’un de mes amis, entre de bonnes mains. Elle n’a que d’importantes contusions au visage, le corps est indemne, quelques hématomes… »

Papa fulmine, rouge, vert puis blanc de rage. Ses yeux semblent vouloir se jeter hors de leurs orbites. Ses mains tremblent :

- « TU VAS ME DIRE OÙ EST MA FILLE !!!!!!!!!!! »




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lundi 13 avril 2009

11 - 10 : 7ans

11 – 10



Les deux frangins de Matthieu, mines offensives, avancent d’un pas. La mère réagit en s’intercalant :

- « Calmez-vous. Nous partageons votre détresse, nous savons que votre petite Alix est une enfant formidable. Cela n’arrangera pas les choses de vous mettre dans un état pareil… »

- « C’EST VOUS QUI ALLEZ ARRÊTER ÇA TOUT DE SUITE !!! Comment voulez-vous que je me calme alors que ma fille de 7 ans vient de faire trois tonneaux, de traverser un pare-brise avant d’être retrouvée coincée sous VOTRE FOUTU CAMPING-CAR DE MERDE !!! »

Une infirmière intervient, elle entraîne mon père d’un pas de souris à sabots blancs alvéolés jusqu’à ma chambre. Nos retrouvailles sont plus intenses que notre terrible séparation. Me voyant, il s’effondre en larmes. Il se précipite presque à genoux, m’entoure de toutes parts sans pour autant oser m’effleurer. Il suffoque, se prend la tête entre les mains. Il se relève frappant rageusement dans le vide puis se met à tourner tel un fauve dans la cage de la chambrette anonyme aux lourdes odeurs médicamenteuses. J’interromps le fluide complexe de sa pensée :

- « Papa, est-ce que je peux te poser une question ? »

Il m’assure que oui.

- « Maman est-elle morte ? »

Il fond vers moi troublé :

- « Non ! Bien sûr que non. Comme toi, elle reçoit des soins en ce moment, c’est pour cela qu’elle n’est pas ici. D’ailleurs elle ne devrait pas tarder à te rejoindre… »

Je pousse un long soupir de soulagement. Je suis dans de la ouate. Mes membres sont cotonneux. Maman est à côté. Je suis rassurée jusqu’à ce qu’elle me rende visite.
 
 
 
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lundi 6 avril 2009

11 - 11 : 7ans


11 – 11



Son visage est si tuméfié que j’ai peine à la reconnaître. Sa voix, elle, ne me quitte pas.

- « Et Sabrina ? »

- « Elle a fait un vol plané de compétition. Les pompiers l’ont retrouvée assise dans l’herbe du champ voisin. Elle ne peut plus rire comme à son habitude car elle s’est cassée trois côtes, sinon, elle n’a que des égratignures, rien de grave. Nous avons eu une chance insensée dans notre malheur !

- « En parlant de chance… »

Papa entraîne maman dans le couloir infini et leur dispute me revient en échos sinistres : les « Je t’avais prévenue » côtoient les « Tu mélanges tout », les « Pas deux fois » tonnent, les « Tu ne changeras jamais » se déchirent jusqu’à mes oreilles.

Maman revient la première. Je comprends tout de suite à son attitude qu’elle va me demander un truc :

- « Écoute, on va sortir de là, je vais signer une décharge. Tu rentres avec ton père. Tu prends soin de toi, je prends soin de moi et nous passons te récupérer avec Matthieu dans quelques jours. Ça te va ? »

J’ai 7 ans, l’âge de raison, l’âge où l’on a le droit de se taire. Tout de suite, je ne trouve pas le courage de me révolter contre quoi que ce soit et je suis ravie d’aller chez mon père où je vais être couvée comme un oisillon.

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lundi 30 mars 2009

11 - 12 : 7ans


11 – 12



7 ans, l’âge de la pénitence salvatrice, la conscience s’ébranle, les doutes commencent leurs salamalecs. Âge de purification, d’expansion, âge des miracles. Après avoir fait trois tonneaux, le camping-car s’est encastré dans un tracteur. J’ai eu la clémence de tomber dans un fossé. Sans cette ride de la terre, ce renfoncement béni, ma vie n’aurait pas été épargnée, je serais morte broyée.

Je serais morte…

J’ai failli mourir…

J’ai fait face à la mort…

MA MORT !

Bien plus tard, en étudiant les vertus de ce 7 qui m’avait apporté la chance comme la malchance, j’ai appris que dans les écrits de Lactance une septième œuvre de miséricorde consistait à ensevelir les morts.

Qu’il s’agissait du nombre de jours durant lesquels un individu était considéré comme impur après un contact, même bref, avec un cadavre.

7 jours, le temps du deuil chez le peuple d’Israël.

Pour la plupart d’entre nous, le nombre 7 est un trèfle à quatre feuilles, un bon augure, on le joue à la loterie, son aura bénéfique est si puissante qu’elle peut résoudre les énigmes du hasard aux dires du grand public. 7 une chance, très certainement pas une représentation de la Grande Faucheuse, majoritairement, nous ignorons ce que l’accident m’a démontré : la vérité du 7, qui stylisé symbolise la faux.



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lundi 23 mars 2009

11 - 13 : 7ans


11 – 13



Je me prénomme Alix.

J’ai 7 ans, l’âge de réaliser l’importance de la vie. L’âge où pour la première fois, je me suis détachée de ce corps qui m’était tout, ma maison, mon domaine, ma certitude. J’ai fait plus que grandir, je me suis éveillée à l’invisible. J’étais immortelle, belle d’insouciance, j’étais un ventre affamé qui n’avait pas conscience de la faim. Je me livrais à l’existence sans trop la définir. Je m’étais chère. Aujourd’hui j’ai changé, c’est la vie qui m’est chère.

Longtemps je me suis questionnée sur la chose suivante : si maman et moi étions mortes, nous aurait-on déposées dans le même cercueil ?

Il y a de l’amour dans la vie ainsi que de la peur, les deux font avancer. J’ai pris du recul à mon propre vis-à-vis. Je suis devenue plus sage, il est vrai. À 7 ans, le corps éthérique s’installe. L’impalpable commence à prendre une certaine réalité. Lorsque nous rencontrons un mur, le mur reste le mur, le corps demeure un corps mais l’intouchable en nous ne baisse pas les bras, il élabore au plus juste un plan d’évasion. Franchir l’obstacle, progresser. La mort est un mur supplémentaire, l’existence, le temps de trouver un passage. Je suis Alix, j’ai 7 ans, l’âge de concevoir une âme.

lundi 16 mars 2009

12 - 1 : 2600



2600



12 – 1

Bonjour Maître. Comment ce fait-il que vous portiez cet accoutrement humain ? Il y a bien longtemps que nous avons abandonné ces allures de machines simiesques… Vous ressemblez à un robot de nettoyage !!!

Merci bien ! Mais ce que tu ignores, c’est, qu’aujourd’hui, je plaide en faveur de l’homme. Voilà pourquoi !

Je me demande ce qui vous pousse à défendre les causes désespérées ! De toute manière vous connaissez mieux que moi les bugs du système, cependant, je crains que vous ne fassiez un drôle d’effet dans cette salle aseptisée remplie d’écrans et d’intelligences. Il y a peu de chance pour que votre apparence influe sur la sentence de votre juge et de vos jurés.

En effet et qu’importe ! Ce n’est pas pour la cour que je fais cela, c’est uniquement pour rassurer l’homme.

Je ne vous comprends décidément pas !



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lundi 9 mars 2009

12 - 2 : 2600


12 – 2



Le juge n’a pas l’air commode, d’ailleurs il ne ressemble à rien, si ce n’est à une vieille sono avec ses diodes éclairées. Sa bande de fréquences sonores n’a pas fonctionné depuis longtemps. Sur le côté, le condamné encagé par des faisceaux lasers se rétracte sous un air de terreur.

Il ne me semble pas vous avoir convié au carnaval Me A2C9 !

La vieille sono grésille.

Les neuf jurés ont prêté serment. Je ne vais pas demander au greffier de nous seriner la lecture de l’ordonnance de mise en accusation du condamné, je vous ai transféré le dossier en pièces jointes à tous, oui, pour ces quelques-uns qui taquinent le réseau en se déconnectant du programme juridique… Nous allons donc procéder aux auditions. Le condamné ayant malheureusement été intercepté par la langue, il ne pourra pas témoigner, celle-ci lui ayant été arrachée au cours de l’arrestation.

Son avocat Me A2C9 le représentera tout au long de l’audience. Le plaignant sera, lui, représenté par le garde de l’Univers. En l’absence de témoins et avec les rapports des experts, nous ne devrions pas perdre de temps… Que le duel de la conscience commence !



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