lundi 27 avril 2009

11 - 7 : 7 ans


11 – 7



Enfin ! On m’a trouvée ! Je vais revoir la lumière du jour !

J’éprouve un immense soulagement qui me ferme les yeux, je n’entends plus que les battements de mon cœur. On va me sortir de là !

Les gendarmes quadrillent le secteur et contrôlent le flux de la circulation. Les pompiers s’affairent auprès des blessés légers, compte tenu de l’évènement. Les curieux sortent leurs têtes des véhicules qui roulent au pas en longeant le lieu de la catastrophe. J’entends mais je ne suis plus tout à fait là, j’écoute mais je n’entends plus. Silence.

La peur est notre alliée, elle stimule nos réactions et de surcroît elle nous protège, à l’instant, elle m’évite la terreur en me livrant à l’inconscience. Évadée de mes tourments, je suis de nouveau une petite fille heureuse. Je fais un pied de nez à mon corps malade que les pompiers extirpent avec précaution de la carcasse éclatée et chaude du véhicule. On m’emmitoufle dans une couverture d’or, je ressemble à une momie naine dans un sarcophage à roulettes. Un hélicoptère déchire la sérénité étrange de ce ciel encore bleu, il vient pour moi. Les pales tournent faisant penser à un ventilateur géant produisant des bourrasques sonores. J’imagine les hirondelles fuir. On me fait glisser dans l’oiseau de métal peint en rouge qui s’élève sans tarder entre les nuages endimanchés.




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mardi 21 avril 2009

11 - 8 : 7 ans


11 – 8



Je ressens comme un vide tandis que me voici arrachée à la voix de ma mère. Je rouvre des yeux horrifiés comme à la sortie d’un cauchemar. Un homme se penche au-dessus de moi. Il me sourit, me dit que je suis une petite fille très courageuse. Mon sarcophage est si rigide qu’il ne me permet aucun mouvement. Seul mon front plisse d’inquiétude. Je me demande si je pourrais remarcher un jour, courir, sauter, danser, faire du poney. Des tubes transparents me parcourent, l’homme me fait une injection. Moi qui ai peur des piqûres, je ne redoute rien d’autre que la solitude. L’homme m’explique que nous survolerons bientôt Paris. Je retourne à la maison. Où sont mes parents ? Comment va Sabrina ? Je le regarde fixement en retenant mes larmes et d’un coup je recouvre la parole :

- « J’ai envie de faire pipi. »

L’homme commence par rire gentiment avant de s’approcher de mon oreille avec un air de connivence :

- « Tu n’as pas d’autre choix que de faire sous toi. Personne n’en saura jamais rien en dehors du personnel médical de l’hôpital Debré où nous n’allons pas tarder à te déposer. Ils te nettoieront dès ton arrivée. Crois-moi nous en avons l’habitude, n’aie aucun complexe. »

Il n’a pas fini sa phrase que ma pisse se déverse dans la boîte. Elle suit les vibrations de l’appareil qui amorce son atterrissage, elle remonte jusqu’à ma tête, me mouille les cheveux. Je sais que c’est dégueulasse pourtant cette chaleur organique me fait du bien. Pour quelques instants encore, avant qu’on me transfère aux urgences, je suis un bébé calé dans le ventre de sa maman, les sons me parviennent en sourdine et je ressens une sorte de refus de naître tant ce qui m’attend est source de stress.



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lundi 20 avril 2009

11 - 9 : 7 ans


11 – 9



L’injection de morphine me confine désormais dans mes songes fœtaux. Je me souviens à peine de l’infirmière qui s’est occupée de me laver et de me shampouiner alors que j’étais allongée. Je dors. Je ne souffre plus. Je rêve d’hélicoptères posés tels des rangées de moineaux sur les fils électriques qui bordent les routes nationales, de lave-linge célestes, d’horizon qui disparaît. Je bouge dans mon sommeil, je remue autant que je peux, je cavale, je dévale, je m’emballe. Je crie à gorge déployée et les arbres se déplacent pour me voir. J’oublie le monde réel jusqu’au lendemain.

Arrivée tonitruante de mon père entre les murs d’un blanc sale de l’hôpital. Je me réveille. Je sais. Il est là, tout près. Je ne le vois pas encore que déjà je l’entends. Mon beau-père, sa mère et ses frères devaient l’attendre pour accueillir son bouquet de nerfs. Pour une première rencontre, l’occasion est tendue. J’imagine papa fonçant dans le tas, tête baissée, narines fumantes, poings serrés :

- « MAINTENANT QUE VOUS AVEZ FAILLI TUER MA FILLE, VOUS ALLEZ FISSA ME DIRE OÙ ELLE EST !!! »

Matthieu prend sa voix de médecin en joignant les mains dans un geste monacal :

- « Ne vous angoissez pas. Alix a été prise en main par l’un de mes amis, entre de bonnes mains. Elle n’a que d’importantes contusions au visage, le corps est indemne, quelques hématomes… »

Papa fulmine, rouge, vert puis blanc de rage. Ses yeux semblent vouloir se jeter hors de leurs orbites. Ses mains tremblent :

- « TU VAS ME DIRE OÙ EST MA FILLE !!!!!!!!!!! »




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lundi 13 avril 2009

11 - 10 : 7ans

11 – 10



Les deux frangins de Matthieu, mines offensives, avancent d’un pas. La mère réagit en s’intercalant :

- « Calmez-vous. Nous partageons votre détresse, nous savons que votre petite Alix est une enfant formidable. Cela n’arrangera pas les choses de vous mettre dans un état pareil… »

- « C’EST VOUS QUI ALLEZ ARRÊTER ÇA TOUT DE SUITE !!! Comment voulez-vous que je me calme alors que ma fille de 7 ans vient de faire trois tonneaux, de traverser un pare-brise avant d’être retrouvée coincée sous VOTRE FOUTU CAMPING-CAR DE MERDE !!! »

Une infirmière intervient, elle entraîne mon père d’un pas de souris à sabots blancs alvéolés jusqu’à ma chambre. Nos retrouvailles sont plus intenses que notre terrible séparation. Me voyant, il s’effondre en larmes. Il se précipite presque à genoux, m’entoure de toutes parts sans pour autant oser m’effleurer. Il suffoque, se prend la tête entre les mains. Il se relève frappant rageusement dans le vide puis se met à tourner tel un fauve dans la cage de la chambrette anonyme aux lourdes odeurs médicamenteuses. J’interromps le fluide complexe de sa pensée :

- « Papa, est-ce que je peux te poser une question ? »

Il m’assure que oui.

- « Maman est-elle morte ? »

Il fond vers moi troublé :

- « Non ! Bien sûr que non. Comme toi, elle reçoit des soins en ce moment, c’est pour cela qu’elle n’est pas ici. D’ailleurs elle ne devrait pas tarder à te rejoindre… »

Je pousse un long soupir de soulagement. Je suis dans de la ouate. Mes membres sont cotonneux. Maman est à côté. Je suis rassurée jusqu’à ce qu’elle me rende visite.
 
 
 
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lundi 6 avril 2009

11 - 11 : 7ans


11 – 11



Son visage est si tuméfié que j’ai peine à la reconnaître. Sa voix, elle, ne me quitte pas.

- « Et Sabrina ? »

- « Elle a fait un vol plané de compétition. Les pompiers l’ont retrouvée assise dans l’herbe du champ voisin. Elle ne peut plus rire comme à son habitude car elle s’est cassée trois côtes, sinon, elle n’a que des égratignures, rien de grave. Nous avons eu une chance insensée dans notre malheur !

- « En parlant de chance… »

Papa entraîne maman dans le couloir infini et leur dispute me revient en échos sinistres : les « Je t’avais prévenue » côtoient les « Tu mélanges tout », les « Pas deux fois » tonnent, les « Tu ne changeras jamais » se déchirent jusqu’à mes oreilles.

Maman revient la première. Je comprends tout de suite à son attitude qu’elle va me demander un truc :

- « Écoute, on va sortir de là, je vais signer une décharge. Tu rentres avec ton père. Tu prends soin de toi, je prends soin de moi et nous passons te récupérer avec Matthieu dans quelques jours. Ça te va ? »

J’ai 7 ans, l’âge de raison, l’âge où l’on a le droit de se taire. Tout de suite, je ne trouve pas le courage de me révolter contre quoi que ce soit et je suis ravie d’aller chez mon père où je vais être couvée comme un oisillon.

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