lundi 25 mai 2009

11 - 3 : 7 ans


11 – 3



Un camion nous double. Matthieu ralentit. Il ne conduit qu’en de rares occasions et mon père lui a collé la frousse. Mon terrible géniteur a déconseillé de prendre la route avec ce vieux véhicule. Matthieu ne semble pas aussi rassuré que cela vis-à-vis des menaces proférées au cas où il m’arriverait quelque chose. Il est vigilant. J’aime mon père, je lui ressemble beaucoup. Il est chagrin de la situation que maman a instaurée, c’est peut-être pour cela qu’il voit le mal partout. Il devait être amer de rester tout seul, aussi ne sentait-il pas notre départ. Maman l’avait pacifié avec ses intonations de séductrice et mes baisers d’au revoir l’avaient réconforté mais je sais que son regard était étrange alors qu’il disparaissait dans l’ascenseur.

Là, je n’y pense plus. Sabrina s’est endormie assise, j’en profite pour m’allonger sur le lit. Je joue avec mes pieds, pour une fois que j’échappe au siège pour enfant, j’en profite, pas même une ceinture de sécurité dans ce modèle préhistorique sur roues. La belle vie ! Maman est heureuse. Sabrina n’a pas l’air de s’en faire… Derrière la vitre la campagne semble être de plus en plus verte. Les arbres dansent au rythme de notre passage. Sabrina se redresse, je la fixe pour saisir l’instant où elle va rouvrir les yeux mais sa tête retombe mollement sur sa poitrine avant de dodeliner inconsciemment. Dois-je ajouter qu’elle cuve la bouteille de Tavel qu’elle a engloutie hier soir sous l’influence de papa… Ça m’amuse.

Maman regarde droit devant, elle est comme ça ma mère. Matthieu ne relâche pas son emprise sur le volant. Le paysage s’effiloche silencieusement. À mon tour, je suis accablée de fatigue, je lutte afin de continuer à profiter pleinement du moment or mes paupières sont lourdes, si lourdes qu’elles se ferment malgré moi. Je somnole, je dors cependant je suis encore présente, j’entends.


(.../...)

lundi 18 mai 2009

11 - 4 : 7 ans


11 - 4



Une explosion !!!

Un pneu vient d’éclater à l’arrière. Maman et Matthieu le regardent passer devant eux totalement impuissants. Matthieu raidit les bras sur le volant. Le lourd véhicule vacille. Il dérive vers la droite puis vers la gauche. Mon beau-père a blêmi dans son rétroviseur. Tout va très vite. Gauche – Droite. Par réflexe, maman se retourne et bloque le corps de Sabrina qui ne s’est pas réveillée. Elle croise mon regard dans l’action, j’y lis de l’effroi. Droite – Gauche. Mon cœur s’emballe comme le paysage qui devient fou. Dire que nous n’étions plus qu’à 7 km de chez ma grand-mère, 7, ce satané nombre du châtiment. Le camping-car se prend pour un étalon indomptable qui menace de se cabrer. L’animal de tôle refuse de se laisser maîtriser davantage, il s’abandonne violemment à la route. Je ne suis plus qu’une poupée de chiffon prisonnière d’une machine à laver, un fétu de paille bouleversé par une tempête, je me fracasse en vaguelettes contre l’énormité du récif. De l’Alpha à l’Omega, je vois défiler la totalité de l’Univers créé. Je suis minuscule. Je n’ai aucun pouvoir. De la terre au ciel, je suis au centre des six directions, c’est l’apocalypse. Le monde ne sait plus où aller. Nous subissons. Mes pieds ne touchent plus le sol. Ma tête heurte les parois tel un fruit à la chaire trop tendre. Je vole, j’atterris et me renvole en canari schizophrène pour lequel les limites de la cage sont devenues insupportables. Du ciel à la terre, plus rien.

Elle est étrange cette sensation de vivre quelque chose de grave, il y a de la solennité dans l’exceptionnel.




(.../...)

lundi 11 mai 2009

11 - 5 : 7 ans


11 – 5



J’ouvre les yeux mais je ne comprends pas tout de suite.

Où suis-je ?

Je ne me pose pas la question très longtemps, une douleur fulgurante et inqualifiable prend possession de mon être, une créature de l’obscurité venue pour nuire. Cette lancinance m’interdit de bouger les membres, elle paralyse jusqu’à mes pensées. Vite, je n’existe plus qu’à travers cette souffrance qui étouffe mes cris. Je ne sais pas ce qu’il se passe. Je suis seule pour la première fois. Le ciel a disparu. Les vacances sont finies avant même d’avoir commencées. On dirait que la nuit s’est abattue sur ma tête en plein jour, une vieille terreur gauloise. La campagne s’est transformée en un magma de débris de verre, de tôle, des formes indéfinissables. J’ai du mal à respirer correctement. Je suffoque. J’ai peur. Un oiseau chante, je l’écoute avec toute l’intensité que je peux trouver dans les forces qui me quittent, la musique de la nature est une berceuse rassérénante. Des images abstraites ou incohérentes envahissent mon esprit. J’ai la sensation d’avoir pénétré un cerveau étranger, d’apercevoir les souvenirs d’une existence qui n’est pas la mienne ou peut-être est-ce l’inverse, une vision extérieure modifie mes perceptions. Je délire. La seule réalité qu’il me reste se résume en ceci : AIE !!!




(.../...)

lundi 4 mai 2009

11 - 6 : 7 ans


11 – 6



Je délire. Tout n’arrive pas comme prévu. Il y a la chance et la malchance, ce que l’on envisage et ce qui nous dévisage.

J’ai perçu un signal parvenu jusqu’à mes ténèbres. Je tends l’oreille… La voix de ma mère hurlant mon prénom. J’espère la tranquilliser, répondre à son appel déchirant mais ma voix se terre au fond de mon ventre, aucun son ne sort de ma bouche pourtant grande ouverte. La voix de Matthieu rejoint celle de ma mère, une voix de médecin, douce en toute situation, grave. Tristement cette fois, le beau timbre de mon beau-père avec son accent de clinique bute contre l’hystérie de ma mère. Je ne suis pas actrice, je suis témoin de la scène, on m’impose le recul. Soudain, un ouragan de bruit s’abat sur le périmètre de l’accident.

L’ACCIDENT.

Je pleure de désespoir et d’impatience d’être retrouvée. J’essaie de remuer. Impossible ! Cette douleur m’obnubile trop. Je tire sur mes cordes vocales, je suis privée de parole, exilée. La voix de maman se rapproche. Les battements de mon cœur s’accélèrent.

- « LÀ !!! »

Elle se jette à genoux et commence à creuser avec ses ongles.

- « Je t’ai vue ! Tu vas sortir de là ! »

Elle s’évertue furieusement à gagner du terrain jusqu’à moi tandis qu’un pompier tente de la redresser.

- « Ma fille est coincée là-dessous ! »

Ils ne sont pas trop de deux pour la faire tenir en place.

Elle rugit.

Matthieu danse d’un pied sur l’autre comme s’il avait court-circuité son système nerveux. Un troisième pompier intervient :

- « Veuillez-vous calmer madame. Tout va bien se passer. Nous allons dégager votre enfant. C’est notre métier. Ne paniquez pas… Veuillez prendre soin d’elle…

Eh ! Franchin ! Il nous faut du matériel, la gosse est coincée sous le véhicule, on va découper autour pour l’atteindre… »




(.../...)