lundi 28 septembre 2009

10 - 17 : Prophétie



10 – 17



17 h 58

J’étais au comble de l’excitation. Monsieur me suivait dans mon délire, toujours réjoui de m’accorder son amicale et bienveillante compagnie. Je portais ma robe rouge à bretelles et mes chaussures rouges à talons. Je pinçais les lèvres sur mon rouge à lèvres assorti, et, humide d’adrénaline, je me penchais à l’œilleton. Une silhouette se découpait en contre-jour : il était déjà là. Je regardais ma montre : 17 h 59. Nous devions tous deux retenir nos respirations. Je le guettais sans ciller, la rétine collée au ras de la lentille de verre déformante. Il demeurait statique dans l’ombre. Il paraissait me scruter lui aussi malgré la cloison qui nous séparait. J’ai frémi. L’aiguille a marqué l’heure. Il a fait un pas vers moi, assombrissant ma perspective. J’ai fait un pas en arrière butant dans mon chien. Il n’a pas sonné. Il n’a pas frappé. Il s’est lové contre la porte et il a dit :

- « Laisse-moi entrer. Je sais que tu m’attends. »

Sa voix était à la fois suave et assurée. J’ai ouvert.

 
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lundi 21 septembre 2009

10 - 18 : Prophétie



10 – 18


Il était devant moi, beau, frais, plein de promesses. Je l’ai fait entrer. Il souriait, alors j’ai souri. Désormais, les choses semblaient se dérouler comme prévues, telles qu’il les avait prévues en tout cas. C’était une rencontre particulière. Je la comparais aux amours des internautes, qui, après un attrait ou une entente virtuelle, se décidaient à se présenter de visu. Je le recevais avec une attention intempestive et je lui proposais du thé. Il accepta et je l’abandonnais le temps de ma préparation. Une fois seule, j’avais douté. J’avais pâli. J’avais réalisé que j’étais en train de recevoir un parfait inconnu chez moi avec, de surcroît, une application grossière. Avais-je craqué ? La bouilloire criait son signal tandis que je piétinais sur place. Je versais l’eau frémissante sur un thé noir à la rose.
Tout cela est-il bien raisonnable ?
Je regardais la rangée de casseroles, puis la rangée de couteaux, et me repris avant de le rejoindre.

 
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lundi 14 septembre 2009

10 - 19 : Prophétie



10 – 19



Il était chez lui, très à l’aise parmi mes bibelots. Il m’a regardé arriver avec une grande satisfaction et a fait de la place devant lui pour que je pose la théière. Puis, je ne sais pas ce qui m’a pris, me saisissant du sucrier, j’ai lancé d’une voix penaude :

- « Salomon, prendrez-vous du sucre ? »

Il a éclaté d’un rire sans limites. La pièce entière s’en est illuminée. Je ne savais plus où me mettre. J’aurais souhaité pouvoir quitter mon corps et le laisser seul affronter mon malaise. Il avait fini par se frotter le ventre et il avait répondu :

- « Deux pour le sucre. Pour le prénom, c’est David. »

J’étais aussi cramoisie que ma tenue. J’ai regretté ce rendez-vous avant même d’en avoir compris le réel enjeu.

- « Je ne sais plus quoi dire… »

- « Alors évite de parler. »

Mais je suis tout de même sous mon toit !

Il s’était immédiatement radouci.

- « Excuse-moi. J’ai tellement de choses à te communiquer, tant à t’apprendre. Je vais commencer par me présenter. Je m’appelle David Caballus. J’ai 33 ans aujourd’hui. J’exerce mille petits travaux qui me font survivre. Je suis né sous une bonne étoile, bien que j’aie mis du temps avant de m’en rendre compte. J’ai échoué à maintes reprises. J’ai souffert. Il m’a fallu me soigner pour devenir un homme universel. J’ai connu l’épreuve du mal, le péché. J’ai été révolté contre un état persécuteur dont la puissance idéologique n’était qu’une propagande totalitaire. Je me suis perdu dans le culte de la personnalité et des plaisirs alors que je croyais simplement me distinguer. J’ai pâti de mon ambivalence. J’étais perpétuellement en contradiction. Je m’opposais à ce qui me faisait face, sans réfléchir, juste pour contester. J’ai cherché à être l’Autre et j’ai trouvé autrui… »

 
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lundi 7 septembre 2009

10 - 20 : Prophétie


10 – 20



Il reflétait ses pupilles dans les miennes, des trous noirs.

- « Je suis cruellement complexe, pourtant j’ai tiré le bon numéro. Six, c’est le nombre de la création du monde selon la Bible. C’est le bouclier de David, l’emblème d’Israël, le principe et son reflet inversé dans le miroir des eaux. Ce sont les Six directions de l’espace : les 4 cardinales, le zénith et le nadir. J’étais prédestiné à un destin mystique… »

C’était aussi le chiffre de Néron : le sixième empereur (la bête blessée) qui fut à l’origine de la chute de l’empire romain ! La marque de l’Antéchrist, un chiffre apocalyptique ! Un chiffre d’homme.

Il me transperce sans ciller et ses iris n’ont pas de couleurs.

- « C’est un chiffre de femme. Dans l’antiquité, il appartenait à Vénus Aphrodite, le savais-tu ? Cette déesse de l’amour physique a libéré les forces bestiales et irrépressibles de la fécondité. Encore une Ève ! »

J’avais examiné la possibilité de le mettre dehors. J’avais faibli à l’orée de la nuit. Il l’avait distingué. Il s’était montré davantage charmeur. Il m’expliquait pourquoi il m’avait choisie. Comment il m’avait trouvée, guidé par une horde de six. C’était un homme extrêmement naturel, fort de ce qu’il était. Il s’exprimait avec conviction. Il s’était rapproché sans que je m’en sois aperçue. D’un coup, il me frôlait, son haleine chaude achevait sa course sur mon menton.

- « Tu es mon Aphrodite. Ma beauté. Tu ne me quitteras jamais car moi seul pourrai t’aimer toujours. »


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