lundi 28 décembre 2009

10 - 4 : Prophétie


10 – 4


J’avais refroidi sous la couette. Cette idée lugubre me projeta à nouveau devant le montage photo sur ma porte d’entrée que j’avais arraché au plus vite. Me revint en mémoire que j’avais fait des photomatons dans le métro, il y avait un mois environ, mais la machine n’avait rien voulu recracher et j’étais repartie sans cliché. Il est plausible qu’à force de coups de pieds, cette foutue machine ait fini par sortir le développement. N’importe qui aurait pu s’en emparer. Peut-être étais-je moi-même l’objet d’un fantasme, d’un délire. J’intéressais. Sans m’en douter j’avais pénétré le cerveau d’un autre. J’avais asservi un esprit, qui retranché dans son anonymat et condamné à mon indifférence, avait eu ce geste désespéré et un peu médiéval de venir clouer la chauve-souris sur ma porte. Cet appel depuis l’obscurité, telle une menace, un ultime recours, témoignait d’une faiblesse. On faisait ma publicité, je devais humblement me montrer digne ce cette reconnaissance. Je me calmais. Monsieur coursait son rêve à demi couché sur sa couverture jaune. Ses pattes arrières grattaient nerveusement le linoléum, les babines retroussées, il croquait le vide ou jappait, tandis que ses paupières s’agitaient sous ses poils. J’avais finalement sombré, meurtrie d’interrogations.


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lundi 21 décembre 2009

10 - 5 : Prophétie


10 – 5


13 heures, le lendemain.

L’heure où mon voisin de gauche sortait, l’œil collé, les plis d’oreiller décalqués sur les joues, pour aller acheter sa baguette et ses croissants.

L’heure où ma voisine de droite déjeunait de crudités et de yaourt en révulsant les yeux devant de journal télévisé. L’heure où le vieil algérien du septième, porte B, relisait, sans les comprendre, ses papiers administratifs. Au moment où le critique littéraire un peu sourd du 7ème, porte A, faisait du thé. Quand la femme du huitième arrosait ses plantes laissant son téléphone en appel en absence. Que le survolté de treize ans du neuvième ratait son cours de géographie et tuait ses ennemis virtuels en réseau. À la cave, les rats modifiaient leurs trajectoires en fonction des pièges qu’on leur avait dévolus. Au sommet, les charpentiers veillaient à la remise en état de la toiture, au-dessus : les oiseaux, les nuages, les avions. Alentour : le monde vu par l’homme. La somme, une planète : la Terre. Et puis tous ces univers hypothétiques qui germaient dans le compost de notre complexité et de nos complexes, des galaxies de questions et l’angoisse d’une réponse comme une sentence fulgurante. Résoudre c’est oublier. Ne pas souffrir c’est omettre la souffrance. Se perdre c’est potentiellement se retrouver. La vie doit être un égarement suivi d’un flash de lucidité.


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lundi 14 décembre 2009

10 - 6 : Prophétie


10 – 6


Quelqu’un venait de balancer un caillou contre ma fenêtre. Je n’osais m’approcher alors que j’aurais pu voir l’individu dans la cour. Il me fallut prendre sur moi d’avancer masquée par les rideaux pour ne finalement apercevoir qu’un mouvement qui filait vers la sortie.

J’ouvrais une fenêtre béante, me penchais au risque de chuter. Monsieur aboya un coup avant de se recoucher en boule.

Une pierre avait atterri dans la jungle de mes géraniums. Je décidais de la rentrer pour l’exposer à une observation minutieuse, je la déposais sur une feuille blanche.

Le petit galet était gravé. L’étrange symbole qui le recouvrait : un triangle barré pointe vers le haut rehaussé d’un point le faisait ressembler à une rune ou à un ogham, à une écriture géométrique ancestrale et énigmatique.

Nous vivons pour être contrariés. Le soleil brille pour tous mais n’obéit à aucun.

Le galet m’obsédait. J’ouvris tous mes dictionnaires, en vain.

J’étais certaine que le point marquait un sens de lecture. Ce symbole me disait quelque chose tout en demeurant insaisissable.

Je mixais les concepts qui bondissaient dans ma boîte crânienne. Je tournais et retournais le galet oint de ma sueur. J’ignorais l’article que je devais écrire. Comprendre, voilà ce qui gobait mes heures, analyser le message. Qui ? Pourquoi ? Combien de temps ? Je voulais savoir. Pourquoi ma vie changeait-elle depuis cette fameuse bourrasque ? Ma routine se transformait en attente. Les recoins familiers de l’appartement mutaient pour laisser s’installer une ambiguïté, une respiration régulière coulait des murs. Le temps ne s’imposait plus de la même manière, j’avais la sensation de me couper du monde ou de m’en laisser détacher, cependant, je n’étais pas seule, quelqu’un dehors pensait à moi.


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lundi 7 décembre 2009

10 - 7 : Prophétie


10 – 7


Le troisième jour.

Je me réveillais fatiguée par mes songes emmêlés. Le ciel bas et anthracite me fit allumer les lumières au lever. On aurait dit que la nuit succédait à la nuit. L’air sentait la pluie, l’humidité pénétrait mes os. Les nuages graves se rapprochaient de nos fenêtres et s’allongeaient en brume épaisse. Monsieur fit son tour avant l’ondée, normal, j’étais (pour une fois) munie d’un parapluie. À peine étions nous rentrés que l’eau lunaire cherchait à féconder le bitume. Les anges changés en gouttes tentaient de fertiliser les âmes urbaines. La joie des campagnes teintait de gris le moral de la ville, des cascades d’eau sale, des trottoirs comme des pataugeoires, pas d’horizon et pas de lumière, que des néons et des flaques aux reflets grotesques. Les pavés luisaient donnant l’impression d’une peau de serpent. Les voitures roulaient au pas, au rythme des essuie-glaces et projetaient des visions dans la lumière des phares.



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