lundi 27 décembre 2010

7 - 1 : Il était une fois




7 - 1
Je voulais naître.
J'ai longuement espéré cet événement. Depuis le néant, mon esprit souffrait de l'appel de la vie. Je rêvais de sensations, d'atmosphères. Je voulais naître mais pas n'importe comment. Sortir, cependant pas d'on ne sait qui. Là était mon souci, mon problème à résoudre. Il devait bien y avoir quelqu'un. Il devait bien y en avoir d'autres.
Où aller quand les chemins n'existent pas ?
Où se rendre sans destination réelle ?
Je n'avais connu que la sérénité, que la passivité, que l'abandon.
Je ne réalisais que trop ma condition d'âme.
Je n'étais préparé à rien puisque j'étais tout. L'Univers c'était moi. Je me suis dit qu'étant la synthèse de tout, ma solution résidait peut-être dans le fait de me diviser, aussi ne serais-je plus unique. Puis je laisserais se multiplier ces divisions et la matière évoluerait pour permettre aux cellules de parfaire leurs mathématiques.
(...)

lundi 20 décembre 2010

7 - 2 : Il était une fois


7 - 2


En premier lieu il me fallait me diviser. Je devais trouver les deux qui conviendraient, les garants de mon avenir.
Je devais progresser sur la voie de la concrétisation.
J'attendais qu'on m'aime. J'attendais qu'on m'attende. Je me languissais de prendre forme. Ainsi ai-je commencé à aimer mes futurs créateurs, ceux-là mêmes à qui je prêtais vie. Eux qui parviendraient à m'extraire du monde originel.
De ma place d'observateur, j'ai évalué mes chances d'arriver au début, j'ai soupesé les probabilités de ma naissance. Mon attirance pour le monde physique devenait obsessionnelle.
J'imaginais quelque chose d'inconnu venir troubler mon silence intérieur. Un appel, le sentiment d'un appel encore confus.
Aurais-je peur ? Sans doute. Il est toujours ardu de se réveiller.


(...)

lundi 13 décembre 2010

7 - 3 : Il était une fois




7 - 3


Lorsque j'ai perdu mon bébé, j'étais au restaurant, face à mon frère. Subitement, j'ai commencé à couler de ma chaise sous la table de douleur. J'étais pourtant incapable d'identifier cette souffrance. Mon frère m'a aidée à sortir de l'établissement le plus dignement possible. Je me rappelle qu'il avait insisté pour me payer un taxi, or, têtue comme je suis, j'ai pris le métro. Je n'aurais pas dû ! Ce trajet fut un cauchemar dont je frémis encore.
Je vacillais, blême, ne sachant à quoi me raccorcher tant je souffrais. Un tiraillement tel qu'il se répercutait dans tout mon corps. Une douleur de plus en plus aiguë qui me pliait en deux en se diffusant. Mes cheveux collaient salement à mon front tant je suais. Mes yeux vrillaient sous les néons de la rame de métro qui rendaient la réalité surréaliste. Les gens, bien installés sur leurs sièges, me regardaient d'un air dégoûté. Je m'en apercevais à peine jusqu'à ce qu'une femme, à proximité, lance d'un ton fort à son mari :
- " Encore une de ces paumées de toxicomanes. Il faudrait les achever ! "
Ma station arrivait, j'ai fui pressée par l'angoisse du mal. Il ne me fallait pas m'arrêter au risque de ne pas pouvoir repartir.


(...)

lundi 6 décembre 2010

7 - 4 : Il était une fois


7 - 4


D'une force surhumaine je me suis portée jusqu'à chez moi. Quand la porte s'est enfin refermée, j'ai tout lâché et je me suis précipitée dans la salle de bains. Je suis montée sur la petite estrade qui mène aux toilettes et je m'y suis assise. Je n'ai eu que le temps d'écarter les genoux que je me suis vomie toute entière. Des gouttes de transpiration brûlaient mes yeux tandis que mes membres tremblaient pris sous l'assaut d'un frisson glacial. Je crois qu'ensuite le téléphone a sonné. Je me suis dressée comme propulsée par un ressort mécanique. Tel un fantôme, j'ai fait un pas vers l'avant et j'ai fini de me déshabiller. J'observais le sol, mes vêtements gisaient auprès d'une mare de sang. Je fixais la flaque d'un rouge brunâtre sans réaction. Tout bonnement je ne comprenais pas. Tout bonnement ce n'était pas envisageable. Tout bonnement ce n'était pas possible. Et mes yeux ont fixé mes pieds, mes pieds souillés de sang. Et j'ai remonté le filon le long de mes jambes sanguinolentes. Puis le blanc.


(...)

lundi 29 novembre 2010

7 - 5 : Il était une fois



7 - 5



J'ai repris conscience peu après, j'ai pris une douche. Tel un revenant je me suis essuyée sans rien sentir. J'ai ramassé mes vêtements que j'ai mis au sale et je suis allée prendre du papier toilette que j'ai laissé tomber par terre sur le sang. J'ai contemplé la manière dont le papier sombrait en s'imbibant, puis je suis retournée en chercher et mon regard s'est perdu au fond de la cuvette des toilettes. Un bout de chair flottait à moitié dans le trou. Je me suis mise à genoux pour le voir de plus près, le foetus minuscule ballottait sereinement contre les parois. Là, j'ai rampé avec du papier toilette jusqu'à la flaque. J'ai récuré le sol avec frénésie jusqu'à l'épuisement. Puis j'ai jeté le tout sans réfléchir et j'ai tiré la chasse avant d'aller me coucher.
J'ai dormi et mes songes étaient fiévreux et délirants. Je retournais des formules dans ma tête afin de trouver la manière la plus délicate pour l'annoncer au papa. S'il revenait un jour de Denver dans le Colorado... Je ressentais le noir, la fatale obscurité du désespoir et j'ai prié ma mère de me réveiller de cet affreux cauchemar.
Pourtant, le lendemain, les toilettes étaient bouchées.


(...)

lundi 22 novembre 2010

7 - 6 : Il était une fois



7 - 6


Mon père, ancré dans mon corps comme dans ma mémoire, s'est préoccupé très tôt de ma virilité. J'étais béni des dieux pour lui, il aurait eu grande peine d'avoir une fille, non que ce soit un réel déshonneur, cependant il était tellement plus gratifiant d'avoir un fils. Le mâle puissant qu'il était, pouvait ainsi se prouver à la face du monde. Sa vie avait trouvé un sens qu'il aboyait en parfait chef de meute. Je savais que mon père m'aimait par-delà sa belle indépendance et donc ses absences répétées car le temps qu'il investissait auprès de moi était vécu avec intensité.
Très jeune, j'ai beaucoup joué avec lui à toutes sortes de loisirs et son intelligence tramait un subtil enseignement, en effet, j'ai le souvenir précis de ces moments partagés et de ce qu'il m'a fait comprendre sur l'existence. Longtemps, il a été mon dieu accessible, fier, et mon avenir. Je me laissais envahir par sa présence et je m'évadais dans le flot de ses paroles. Je lui vouais une confiance extrême, aussi toute mon attention.
Il espérait tant de moi ! Tant, qu'à mon échelle d'enfant, cette montagne m'impressionnait.


(...)

lundi 15 novembre 2010

7 - 7 : Il était une fois


7 – 7

Je recherche la compagnie féminine pour l’arôme, la douceur, la discussion perpétuelle. Où que je sois avec elles, je vis un spectacle. Loin d’être un attaquant, je préfère séduire en rassurant. J’adore être cajolé, parler à bon escient et toucher incidemment. En toute sincérité, j’ai commencé par convaincre ma mère et les autres ont suivi qu’elles aient été plus ou moins rétives.

J’ai consacré beaucoup de temps et d’énergie dans la considération et la manipulation de ma verge. Il était important de m’assurer de son bon fonctionnement et d’en assurer les autres. J’ai pas mal fantasmé, bandé et éjaculé et baisé et fait l’amour avant de réaliser l’étendue de ses possibilités.

Je n’ai pas choisi de rencontrer la femme de ma vie au cours d’une scène d’une pareille banalité. Je suis tombé amoureux au coin de la rue. Au coin de ma rue ! Cet axe que j’ai emprunté à toutes les heures et dans tous les états, ce chemin devenu utilitaire, dénué d’intérêt. Juste ici, contre la façade du boulanger où je ne vais plus depuis qu’il ne m’a pas rendu correctement la monnaie.

 
(.../...)

lundi 8 novembre 2010

7 - 8 : Il était une fois


7 – 8

Dès que je l’ai entrevue, j’ai su, avant de connaître son timbre de voix. Je n’espérais rien de précis, elle n’attendait rien. Nous nous sommes plus. Les choses se créent parfois à l’insu de nos propres convoitises. Le fait est que le soir même elle s’installait chez moi pour ne plus me quitter.
Au début, elle s’est vidée comme un vase trop rempli, elle m’a raconté son histoire qui n’avait rien de féerique, j’ai écouté. Elle avait fait une fausse-couche et le père avait disparu aux confins des États-Unis.
Elle m’a touché au cœur comme mon père l’avait fait. Cette nuit-là elle s’est assoupie sur mon épaule. Son souffle chatouillait chaudement la surface de ma peau. Je louchais pour déceler ce visage noyé de mèches sensuelles. J’ai pensé à mon père avec émotion. Cette femme me permettrait de lui rendre l’honneur qu’il m’avait fait et d’ainsi perpétuer sa lignée.
(.../...)

lundi 1 novembre 2010

7 - 9 : Il était une fois


7 – 9

Quand les hommes et les femmes oublient la société, qu’ils taisent les complexités religieuses, ils redeviennent sorciers à la faveur de la lune et la magie opère. Il y a de l’écho dans l’infini comme il y a des étoiles dans le ciel nocturne, comme les éclairs claquent telles des portes qui s’ouvrent et qui se ferment. L’amour est un passage, un transport, un message pas toujours facile à passer. Il nous fait omettre, éperdus d’insouciance, la crainte de faire naître un enfant voué à la souffrance. La vie telle que nous la concevons est-elle si belle ?
 
(.../...)

lundi 25 octobre 2010

7 - 10 : Il était une fois


7 – 10

Tout de suite, je ne pense qu’à ton corps, qu’à la façon de le faire vibrer. Je veux le découvrir, l’entendre, le posséder pour que tu t’offres et paraisses ainsi m’appartenir. Je ne pense plus. J’exalte. Je brûle. Je m’emballe, tu m’emballes. Nous quittons la terre pour l’univers organique. Dopés par le plaisir, nous connectons nos cellules autant que nos âmes. « Je et Tu » se transforment en « Nous ». Ton souffle s’engouffre dans mon oreille et m’électrise totalement. Ta peau est douce, elle sent bon, elle sent l’amour et l’abandon. Nous sommes un flux de caresses, une rivière de murmures au crépuscule naissant. Le bel aspect de ton sexe me rappelle que le triangle est l’origine de la création de toute forme. Nous ployons sous les sensations, esclaves de nous-mêmes comme de l’autre. Nous nous mêlons jusqu’à former un être entier. Rayonnants d’oubli, nous suivons l’appel de la nature jusqu’à trouver le néant, l’accompli, le repos méritoire.

Toi, moi et l’amour, nous avons fini par faire trois. De nos deux extrêmes est né ce médiateur qui nous ressemble sans nous appartenir et qui teste journellement notre lien, cet enfant conquérant de ton ventre qui a capturé nos vies.

lundi 18 octobre 2010

8 - 1 : Chacun sa Croix





8 – 1


CHACUN SA CROIX



Élisa lèche soigneusement le collant de sa feuille de papier à cigarette puis l’applique perpendiculairement à une seconde feuille.

« Je ne veux pas les rencontrer. Pourquoi faut-il qu’il me le propose sans arrêt ? »
Maintenant, elle brûle rapidement son morceau de résine de cannabis et le brise entre ses doigts pour l’émietter sur son magazine de mode.

« Si je me souviens bien, il s’agissait de ce soir dernier carat… Je remets depuis un bon moment ma rencontre avec ses amis… Pourquoi devrais-je me fader son passé au travers de leurs petits regards entendus et de leurs ricanements complices ? »
Elle mélange les copeaux bruns verts au tabac et glisse le tout dans son collage. Elle rumine intérieurement en roulant son énorme cône. Elle frotte la pierre de son briquet et allume son calumet. Le bout rouge crépite tandis qu’elle tire une grosse bouffée, une épaisse fumée s’évade mêlée à l’arôme un peu âcre du pollen.
(.../...)

lundi 11 octobre 2010

8 - 2 : Chacun sa Croix


8 – 2

Tom vient d’entrer avec dynamisme dans l’appartement.
- « Alors, es-tu prête ? »
Élisa, les yeux mi-clos, le contemple depuis la chauffeuse. Elle lâche dans un râle une volute de fumée aux dessins complexes.
- « Je vois ! J’imagine que tu as décidé de te défiler encore une fois ? »
- « Non, non, j’ai juste pris un peu de retard… Je vais me préparer. Il n’y a pas d’urgence rassure-moi ? »
Elle lui tend le joint qu’il s’empresse de saisir et d’aspirer. Elle pousse un soupir d’éreintement mais parvient tout de même à s’extraire du confort anesthésiant des voluptueux coussins. Elle file vers la salle de bain alors qu’il sombre inconsciemment derrière elle dans une position favorable à la sieste.

- « Finalement, il me faudra t’attendre à mon tour ! »
Tom ouvre un œil et reprend consistance en toussant fort. Il se passe la main dans les cheveux et la rejoint.
- « Nous sommes partis ! »
(.../...)

lundi 4 octobre 2010

8 - 3 : Chacun sa Croix



8 – 3

Élisa monte dans la voiture.

« Évidemment il fallait qu’ils habitent à l’autre bout de Paris ! »

Une dernière pensée négative puis elle se laisse absorber par l’instant présent. Elle laisse ses yeux courir le long des trottoirs en mouvements. Elle se sent protégée par la vitre fermée tandis que Tom jure cramponné au volant. La nuit s’annonce voilant les cimes d’une étole anthracite. Les parcs et les jardins sont clos. Les parisiens s’affolent autour des commerces. Ils déboulent en masse conquérante près des bouches de métro. Élisa baisse son pare-soleil et jette un œil dans la glace. Elle n’est pas à son top…

« Après tout, on ne va pas me présenter à la reine d’Angleterre !»

Elle se laisse à nouveau hypnotiser par les lumières de la ville qui viennent strier le tableau de bord.

- « Mais tu vas avancer espèce de … »

Tom défiguré par l’ardeur de sa conduite semble vouloir emboutir le véhicule qui le précède. Il rage. Il vocifère. Il double dans un râlement de satisfaction.


(.../...)

lundi 27 septembre 2010

8 - 4 : Chacun sa Croix


8 – 4

Ils arrivent dans le dix-septième arrondissement. Un code, une allée entre les immeubles et, cachés au cœur de la cité, une ruelle pavée à l’atmosphère provinciale, des pavillons coquets, un hôtel particulier, il ouvre la grille, elle ne peut plus reculer.

- « Élisa, je te présente Victor. Vanessa n’est pas là ? »
- « Si, allez voir à l’étage. »
Victor disparaît dans une autre pièce après avoir simulé un coup de poing dans le thorax de Tom. Élisa suit l’escalier en colimaçon bétonné peint en vert fluo. Elle se fait penser à un insecte pris dans la tige d’une plante extra-terrestre. Elle débouche sur une pièce blanche organisée autour d’une cheminée cylindrique de la dernière technologie. Une jeune femme mince et racée lève la tête, surprise, elle vient les embrasser.
- « Tu as fini par nous l’amener tout de même ! Je finissais par douter de te rencontrer un jour… Je me permets de te tutoyer depuis le temps qu’il nous parle de toi comme de son ultime friandise ! »
Élisa sourit à cours de réponse.
- « Viens, installe-toi. J’arrive. »
(.../...)

lundi 20 septembre 2010

8 - 5 : Chacun sa Croix


8 – 5

Tom est redescendu, Élisa se retrouve seule.
« Ça fait du bien. »
Des rires remontent par saccades les marches de l’escalier. Une fenêtre ouverte donne sur un jardinet, un courant d’air promène sur le mur le tissu transparent et irisé des rideaux bordeaux. L’éclairage indirect donne une ambiance d’écrin au salon. Des fauteuils boules et un canapé de couleur perle s’échouent sur un tapis chinois décoré de fleurs de lotus rouges. Élisa se dirige vers un cadre figurant une pellicule dans laquelle des photographies en noir et blanc se succèdent : la première met en scène une femme nue dont l’échine est tatouée d’ombres et de rayons solaires. Le second cliché pénètre l’intimité d’une femme occupée à sa toilette…
« Je vois le genre ! »
La troisième épreuve plus qu’évocatrice laisse supposer une fellation dissimulée sous une capeline.
La quatrième coupe le souffle d’Élisa qui reconnaît son hôtesse languissamment étendue sur une plage tropicale…
Vanessa vient justement de se glisser derrière elle.
- « Tu fais le tour du propriétaire à ce que je vois... Ces photos te plaisent-elles ?
Élisa semble s’interroger, puis elle répond faussement :
- « Elles sont assez artistiques. »


(.../...)


lundi 13 septembre 2010

8 - 6 : Chacun sa Croix


8 – 6

Victor tend son manuscrit tout frais à son ami :
- « Je l’ai achevé hier. Je voudrais que tu sois le premier à le lire. »
Tom ausculte la couverture : « Aux quatre coins de l’homme ».
- « Ça me fait plaisir. Je pense que je vais le dévorer. »
- « Tu verras ça de retour chez toi, en attendant, ne finassons pas, tu connais la gente féminine ! »
Au même moment, une voix venue d’en haut s’immisce entre eux :
- « Nous n’allons plus tarder à passer à table ! »
- « Ne t’avais-je pas prévenu ? »

À la dérobée d’un paravent de laque noire, une salle à manger chaleureuse avec un accès direct sur la cuisine, du bois, de l’acier et du verre. Des bocaux de grand-mère à la théière "Mariage & Frères", rien n’a été laissé au hasard, mis à part un économe abandonné sur le plan de travail qui laisse présager d’une entrée végétarienne. Élisa déambule autour de la table dressée avec originalité.
« Tout est parfait. »
Jusqu’au fil des lampions qui traverse la table sans la rendre impraticable et l’orne d’une féerie de coquelicots éclatants assortis à des bols posés sur des présentoirs en métal près de baguettes nacrées. Les quatre sets forment un carré sur la table ronde. Des bougies neuves trônent au sein de photophores alambiqués exhalant des senteurs florales.
« Tout est décidément absolument parfait. »
(.../...)

lundi 6 septembre 2010

8 - 7 : Chacun sa Croix


8 – 7

Vanessa réapparaît après s’être changée. Elle porte une splendide robe aérienne en soie sombre. Son poignet brasse l’air dans la musicalité d’un bracelet en pièces de coco vernies. Ses cheveux blonds épices savamment parsemés de paillettes mettent ses yeux en amandes mordorés en évidence.
« C’est une lionne.»
Elisa se sent exceptionnellement un peu terne, victime de son apparence. Elle porte heureusement une jupe assez sensuelle sous un pull à col roulé uni. Vanessa rejoint la cuisine et se concentre gracieusement sur ses préparatifs. Sa présence emplit l’endroit à la fois d’énergie et de douceur.
L’arrivée des hommes coupe court au voyeurisme un tantinet concurrent d’Elisa.


(.../...)


lundi 30 août 2010

8 - 8 : Chacun sa Croix


8 – 8

Tom supplie Victor de prendre l’apéritif en considération : kir pour les femmes et whisky pour les hommes - un kir cassis, l’autre framboise, l’un des whisky avec glace, l’autre sec. Vanessa trinque « à nous ! » depuis les fourneaux. Ils lui répondent en levant leurs verres. Tom détend l’atmosphère, fin médiateur entre sa compagne et ses amis. L’humour sied à tous les esprits et le courant se met à passer, d’ailleurs, on passe à table. Tom s’installe, Élisa s’assied à côté de lui avec un clin d’œil apaisé, or voici qu’il se relève pour aller récupérer son briquet oublié sur le bar. Victor arrive en sens inverse et lui vole inconsciemment la place. Celle-ci, coupée de son alter ego se déconfit visiblement, pourtant Victor se tourne vers elle et lui sourit. Elle vient de le voir pour la première fois, jusqu’alors elle n’avait fait que le survoler.
« Il a du charme. Il paraît franc et jovial, sans doute un grand enfant. »

(.../...)


lundi 23 août 2010

8 - 9 : Chacun sa Croix


8 – 9

La maîtresse de maison confie une soupière à Tom et les deux vont respectivement s’asseoir en face de leur moitié. On soulève le couvercle sur une crème de maïs aux morilles.
- « Je vous sers ! »
Les bols sont tendus vers Vanessa qui munie de sa louche les remplit plaisamment.
Élisa goûte et commente :
- « Quel délice ! J’avoue n’en avoir jamais dégusté, il s’agit d’une très agréable découverte. »
- « J’en suis ravie. Prends-tu le temps de cuisiner ? »
- « Je m’en garde, je n’ai aucun talent pour cela. »
- « Eh bien, d’avoir su divertir tes papilles me va droit au cœur. »
- « J’aurais préféré un velouté de trèfles… » Précise Victor en sourdine à l’attention de Tom qui prend le mot au vol et le réexpédie en gloussant :
- « Cette intervention tombe à pique ! »
- « En fait, pour tout avouer, j’ai horreur d’être en contact physique avec les aliments depuis toujours. Je supporte à peine la vue d’une viande sanguinolente. Je ne mange pas de crustacés parce qu’il faut y mettre les doigts. Je me fais même prier pour éplucher une pomme, alors cuisiner est un calvaire pour moi. »
- « Encore une chance que tu manges avec goût ce soir à ma table… Quand à vous autres, je vous conseille de vous tenir à carreaux ! »
(.../...)

lundi 16 août 2010

8 - 10 : Chacun sa Croix


8 – 10

Tous se mettent à rire et offrent des regards étincelants aux flammes des bougies. Les jeunes liens qui les unissent tissent leur toile sur les murs et les ombres s’y retrouvent.
- « Pour changer de sujet, Victor vient de me confier son manuscrit. Le mystère absolu est dévoilé !»
- « Tu as de la chance, j’ai tout fait pour le soudoyer, peine perdue ! »
- « Je ne savais pas que tu écrivais. De quoi parles-tu ? »
Tom lui fait apercevoir la couverture.
- « "Aux quatre coins de l’homme". Fais-tu référence aux points cardinaux ? »
- « Brièvement, je me suis plus spécialement intéressé aux saisons humaines : la naissance, la formation, la maturité et naturellement le déclin. »
- « Printemps, été, automne, hiver, autrement dit : le temps qu’il a passé à élaborer son ouvrage ! »
- « J’imagine que tu décris la vie d’un personnage… Est-ce l’esquisse d’une autobiographie ? »
- « Il y a des parties de moi dans ce récit comme il y a une part de nous dans chaque être humain, or j’ai justement fait le choix de quatre personnages différents, deux hommes et deux femmes pour respecter un certain équilibre. Ils ont des tempéraments très distincts : une fillette sanguine, un adolescent nerveux, une femme bilieuse et un vieillard lymphatique, tous confrontés à la même évidence que nous : la vie.»
(.../...)

lundi 9 août 2010

8 - 11 : Chacun sa Croix


8 – 11

- « Pourrais-tu résumer le message de tes personnages ? »
- « Pourrais-tu me passer l’eau, s’il te plait ? »
- « Eh bien, l’enfant te dirait qu’il faut avoir l’avidité du savoir, le teen-ager te dirait qu’il faut vouloir par-dessus tout, la femme te dirait qu’il faut pouvoir oser et la vieillesse t’apprendrait à te taire. »
- « Sur ces bons mots, je vais chercher la suite de notre dîner… »
Vanessa disparaît. Élisa est hypnotisée par son voisin. Cette aura magnétique la captive autant que cette voix chaude et envoûtante. Tom toussaille mais elle a plongé dans les yeux passionnés de Victor et ne semble pas vouloir remonter à la surface.
- « Pourrait-on me procurer du feu, s’il vous plait ? Ou dois-je me rouler par terre ? »
Vanessa reparaît dans un courant d’air.
- « Tu ne vas pas te mettre à fumer. Écoute plutôt ce qui nous attend… Magret de canard sauce au miel citronnée, le tout arrosé au champagne, cela ira-t-il ? »
- « Rapport qualité-prix, tu es véritablement ma meilleure adresse, mais le plus délicieux dans ta cuisine c’est toi. »
Tom va tendrement buter contre l’épaule de son amie qui s’abandonne à son contact.
- « Arrêtez ! Vous m’alléchez ! »
(.../...)

lundi 2 août 2010

8 - 12 : Chacun sa Croix


8 – 12

Victor prend le cours des opérations, il garnit chaque assiette avec soin.
« Comme il est raffiné. Il doit avoir les mains douces… »
Élisa se prend à songer qu’elle se laisse manipuler par ces mains qu’elle admire. Elle se détourne, ébranlée par la confusion de ce sentiment inattendu. Elle se régale de ce dîner mais commence à caler, les autres ne mollissent pas. Elle jette un œil discret sur sa montre; la soirée est déjà bien avancée. Elle refuse de prendre du fromage (du vrai qui pue, même avec des pincettes elle n’y toucherait pas) prétextant de se réserver pour le dessert. Un dessert singulier qui va lui procurer immédiatement comme une sorte de vertige.
Lorsque Vanessa a proposé des glaces coco, jamais Élisa n’aurait pensé qu’elle reviendrait avec un miroir recouvert de cocaïne. Elle s’affole intérieurement. Elle n’en consomme pas et se sent prise au piège par des conspirateurs toxicomanes. Victor, avec délicatesse, trace des lignes blanches avec la tranche de sa carte bleue, puis il l’essuie entre deux doigts et se frotte la gencive avec ravissement comme pour ne rien perdre. Vanessa confectionne de petites pailles avec du papier doré et les pose devant eux. Victor aspire puissamment son trait et se racle un peu la gorge avant de pousser le miroir vers sa femme qui ne tarde pas à s’enneiger. Le miroir passe à Tom, il s’exécute sans réfléchir et fait suivre le dessert qui se retrouve devant Élisa.


(.../...)


lundi 26 juillet 2010

8 - 13 : Chacun sa Croix


8 – 13

Elle reste figée telle une poule devant un couteau où elle finit par percevoir sa réflexion totalement démunie. Elle lève des yeux perdus vers Tom qui se veut rassurant en venant lui caresser le mollet de la pointe du pied sous la table. Victor lui frôle le bras en l’encourageant :
- « Un pour tous, tous pour un ! »
- « Ne sois pas inquiète, tu es en lieu sûr et surtout tu es bien encadrée. »
Élisa se tâte encore, mais ils insistent tellement, et puis tout a été si parfait jusqu’à présent. Elle se laisse influencer et pique du nez sur le miroir, armée de sa paille dorée elle inspire le toxique timidement et se met à attendre sa transformation. Rien n’intervient. Bizarre.
« Ce ne doit pas être si terrible que ça. »
- « Regagnons le salon si vous voulez. Nous pourrons mieux nous détendre. »
Les hommes en profitent pour batailler à grand renfort de vaporisateur à bonsaïs. Vanessa sélectionne « lounge » dans la bibliothèque musicale de l’ordinateur, dès lors des nappes mélodiques envahissent la pièce. Une rythmique africaine accentuée par des intonations électroniques, une voix, un refrain, les tintements d’un singulier triangle. Élisa qui a trouvé sa place sur un canapé est prise d’une bouffée de chaleur. Elle souffle sur sa frange et le miroir l’attend. Ce miroir qui traverse le salon et le transforme en Palais des Glaces. Ils s’agitent, ils parlent de plus en plus et de plus en plus vite, ils sont moites, ils sont bien, ils font corps avec la musique. Leurs sensations se décuplent, esclaves de la stimulation de leurs endomorphines, ils se complaisent langoureusement dans leur vice et dopent leurs hypothalamus.


(.../...)


lundi 19 juillet 2010

8 - 14 : Chacun sa Croix


8 – 14

Un solo de guitare, une orchestration structurée, une ambiance harmonieuse. Les quatre s’équilibrent quelque soit le débat ou l’agitation du moment. Élisa s’emballe sans même s’en rendre compte. Ses pupilles dilatées sont en suractivité. Elle serre les dents tout sourire. Ils batifolent indifférents aux réalités de l’existence, voués à la passion, à la flûte et au gong. Il est tard, ils ne sont guère fatigués. Les titres des morceaux de musique continuent à défiler sur l’écran multimédia et les sons opèrent leurs magies impalpables.
Élisa se fait indiquer les toilettes. Vanessa et Tom entament la lecture du manuscrit de Victor qui en profite pour écrire un mail.
Élisa monte l’escalier vert et débouche sur l’étage des chambres.
« Deuxième porte sur la droite. Bonne indication. »
Elle n’en peut plus, pourtant elle ne parvient pas à se soulager, comme déconcentrée par un bruit sans importance, une sorte de froissement ou quelque chose dans ce goût-là. Un piano retentit en bas, ce n’était rien, elle se relâche dans un soupir. Elle tire la chasse et s’apprête à sortir, quelqu’un l’attire d’un coup et la rabat contre le mur du couloir : Victor !


(.../...)


lundi 12 juillet 2010

8 - 15 : Chacun sa Croix


8 – 15

Victor se renverse contre elle, la maîtrise, enserre le joli visage entre ses doigts. Il la contemple un instant avec intensité et l’embrasse fougueusement. Élisa le repousse puis l’attire, débordée par cette effusion de sensualité. Il la soulève et la replace vigoureusement contre le mur ébranlant une aquarelle. Elle ne se défend plus. Elle ondule alors qu’il découvre son corps prisonnier de ses vêtements. Les mains qu’elle s’interdisait tout à l’heure la parcourent, la palpent, l’attisent. Le regard profond qui la découvrait au cours de la soirée est désormais vitreux de désir. Les mots ne franchissent plus ses lèvres enflées d’érotisme. Sa respiration qui s’accélère conditionne celle d’Élisa à s’exalter. Une armée d’archets s’immisce dans le couloir les refoulant vers une chambre toute proche aux sons des violons. Ils se précipitent sur le lit. Ils se gavent des arômes de l’autre dans l’urgence de l’excitation et du délit. Victor se montre plus ferme dans ses intentions. Il veut connaître ce sexe mystérieux, ses doigts fouillent la terre humide qu’il veut fertiliser. Violons. Ils chevauchent irrités par le musc et la sueur. La musique s’arrête. Élisa alertée rouvre les paupières malgré les saccades.

(.../...)


lundi 5 juillet 2010

8 - 16 : Chacun sa Croix


8 – 16

« Han ! » »
Puis encore :
« Han ! »
Élisa se crispe.
- « Tu as entendu ? »
Victor change d’orientation, il la dévisage en la pénétrant avec application, mais elle resserre ses cuisses et insiste :
- « Tu as entendu ? »
- « Oui, sans doute Tom et Vanessa… »
Il la caresse, la respire, la savoure. Il sait qu’elle est en train de comprendre, qu’en cette minute elle est parcourue de frissons contraires, d’envie et de dégoût. Un nouveau cri discret. Élisa fixe la croix grecque à la tête du lit. Victor tente de la faire revenir par de gourmandes morsures.
« Deux lignes, quatre points, une fusion. Aïe ! »
Elle clôt les yeux. Ça revient. Elle se contracte. Victor se tend comme un arc, il jouit en se saisissant la poitrine puis se laisse tomber à côté d’elle presque inconscient. Élisa l’abandonne et va prendre une douche, elle s’accroupit et se met à sangloter sous une cascade d’eau tiède. Les murs semblent vouloir l’écraser. La lumière est horrible.
« Je savais qu’il ne fallait pas venir ! »

(.../...)


lundi 28 juin 2010

8 - 17 : Chacun sa Croix


8 – 17

Elle ressort vingt minutes après, rouge et déconcertée. Elle n’ose plus descendre, aussi s’assied-elle sur le bord du lit. Victor lui tourne le dos, il semble avoir du mal à se remettre de sa performance. Il cherche l’air bruyamment.
- « Est-ce que ça va ? »
Il répond avec difficulté :
- « Juste un mal de crâne. Je vais me reposer. »
- « Tu rigoles, tu ne vas pas me planter toute seule en galère ! »
- « Quelle galère ? Il y a ton mec en bas si tu as un problème ! »
« Quelle ironie ! »
Elle l’attrape par le bras et le secoue.
- « Tu me fais mal. J’ai une crampe. J’ai dû prendre une mauvaise position. »
Élisa sent la colère monter et elle quitte la pièce dans un excès d’humeur. Elle dévale l’escalier. Tom et Vanessa sont assis sur le divan et lui sourient, les cheveux en bataille.
- « On rentre ! » jette-t-elle à Tom tout en les évitant. Il embrasse silencieusement Vanessa avant d’emboîter le pas à sa compagne.


(.../...)

lundi 21 juin 2010

8 - 18 : Chacun sa Croix


8 – 18

Arrivés dans la rue, ils traquent mentalement la moindre réaction de l’autre en simulant l’indifférence. Mais après s’être confinés à l’intérieur de la voiture, l’espace se met à manquer presque autant que l’air. Élisa entrebâille sa vitre et plonge la tête vers le vent qui vient lui fouetter les idées et lui humecter les iris. Les ombres se font rares aux coins des avenues, la ville sommeille tamisée par les halos orangés des réverbères. Tom traverse la capitale fluide.
Élisa ne ressent plus rien que ce courant d’air qui la saisit. Il se gare, elle lui lance un coup d’œil.
« Il est couvert de paillettes ! »
Ils s’ignorent jusqu’à la porte d’entrée. Le téléphone commence à sonner. Tom cherche désespérément ses clefs dans sa poche. Le téléphone rage de l’autre côté de la porte. Il supplie Élisa de farfouiller dans son sac et de trouver son trousseau. Elle sort son agenda. Le téléphone gémit. Elle trouve son paquet de mouchoirs. Le téléphone s’égosille. Tom trépigne. Élisa trouve enfin ! Ils entrent. Le téléphone se tait.

(.../...)


lundi 14 juin 2010

8 - 19 : Chacun sa Croix


8 – 19

- « C’est pas vrai ! »
- « Il en est toujours ainsi. »
Mais la sonnerie reprend sans tarder. Tom décroche comme s’il en dépendait de sa vie.
- « Allô ? »
Il écoute avec attention. Il ne répond pas.
« Je suis sure que c’est elle. Elle souhaite savoir si son amant est bien rentré. »
Élisa se torture moralement.
« Pourquoi reste-t-il bouche bée ? Puisqu’elle lui fait un effet pareil, je ferais mieux d’aller me coucher ! »
- « J’arrive tout de suite. Où ça ? Es-tu certaine ? »
Élisa se dresse :
« J’espère qu’il plaisante ! »
- « Attends-moi ! J’arrive ! »
Tom raccroche. Élisa fulmine.
- « Il faut que j’y aille. »
- « C’était elle, n’est-ce pas ? »
- « Oui. »
- « J’osais espérer que nous nous en tiendrions à cette unique expérience or force est de constater que dans ton esprit malade, tu considères désormais cette situation malsaine comme établie ! »
Tom l’agrippe fermement par les avant bras, son regard est fou, il s’évertue à cracher ses paroles :
- « Victor a fait une crise cardiaque. IL EST MORT! »

lundi 7 juin 2010

9 - 1 : L'étoile flamboyante


9 – 1

L’ÉTOILE FLAMBOYANTE


Nous sommes nés dans cette maison de 1894, miraculeusement édifiée par un riche agriculteur entre la guerre de 1870 et celle de 1914. Nous étions fiers de la belle demeure qui trônait à Villiers-sur-Marne en banlieue parisienne, entre la gare et l’avenue principale qui remontait jusqu’à la mairie. Nos jeunesses ont animé la bien nommée rue du Bois-Saint-Denis, à l’époque le bois existait encore et longeait les voies ferrées.

Firmin et Gérôme sont nés à droite de l’escalier central, Léon et Auguste sont nés à gauche, rien n’aurait pu changer cet état de fait.


(.../...)










lundi 31 mai 2010

9 - 2 : L'étoile flamboyante




9 – 2

Le mal avait pris racine au cours des enfances de leurs parents. Du jour où Théodore avait fait avaler des crottes de souris à sa cadette après les avoir traîtreusement glissées dans une boîte à cachous. Adèle n’avait pas pardonné la blague… Dire si la gangrène datait !
Quand le frère et la sœur avaient hérité de la bâtisse carrée, seul l’escalier était parvenu à les accorder. Dorénavant, Théodore possédait la partie droite de la maison tandis qu’Adèle était maîtresse de l’aile gauche.
Ils s’ignorèrent jusqu’à leurs mariages respectifs mais il s’avéra qu’une fois les couples établis : l’atmosphère se gâta.


(.../...)

lundi 24 mai 2010

9 - 3 : L'étoile flamboyante


9 – 3

On s’espionnait les oreilles collées aux portes ou au plus près des tuyauteries. On jouissait incontestablement des misères voisines. On créait volontiers d’inutiles conflits quand la vie devenait trop paisible. Ordures ménagères, boucan, pots de pisse, tout ce qui pouvait aider à nuire y passait.
Ainsi les enfants des deux bords ne manquèrent pas d’être éduqués dans le mépris de leurs cousins et les humiliations familiales. Les moqueries et les rumeurs allaient bon train, les coups pernicieux faisaient rages. Ceux d’à côté étaient toujours moins : moins beaux, moins vifs, moins intelligents, moins bien présentés.
Si l’on considère que celui qui n’a goûté au cours de son existence qu’à des pommes pourries les préfère aux saines, on peut aisément imaginer ce que l’on peut ressentir envers l’autre lorsqu’on est élevé dans la méfiance et le ressentiment.

Comment espérer la paix si l’on ne sait pas de quoi il s’agit ?

(.../...)


dimanche 23 mai 2010

9 - 4 : L'étoile flamboyante



9 – 4

Firmin et Gérôme étaient les plus élégants.
Léon et Auguste étaient les plus malicieux.
Firmin et Gérôme étaient les plus responsables.
Léon et Auguste étaient les plus inventifs.
Firmin et Gérôme étaient les plus polis.
Léon et Auguste étaient les plus sportifs.
Firmin et Gérôme, durant les grandes vacances, aidaient à la taille des rosiers, ce qui leur avait permis d’occuper le jardin donnant sur la rue qu’ils surnommèrent « le parc ».
Léon et Auguste étaient retranchés à l’arrière du jardin et bénéficiaient du potager, du poulailler et autres cages à lapins.
Les clans rivaux s’affrontèrent afin de récupérer l’allée d’arbres fruitiers demeurée neutre à ce jour. Le cerisier, le poirier, le pommier et le pêcher offraient de véritables régals, dignes d’une guerre sans merci. Le secteur, pris en étau entre les deux camps, était suffisamment reculé pour ne pas attirer les regards parentaux. Or une brèche dans le grillage du voisin permettait de pénétrer chez lui dans le but de ravir fraises, groseilles, framboises et cassis.
D’hostiles stratagèmes s’élaborèrent dans l’ombre.

(.../...)

lundi 17 mai 2010

9 - 5 : L'étoile flamboyante


9 – 5

Par un petit matin brumeux de rosée et sur l’avis d’Auguste qui était resté à l’intérieur pour observer les mouvements ennemis et distraire les parents, Léon traversa la cave humide où s’esquintaient les toiles de son oncle peintes au couteau. Il se dégagea d’une toile d’araignée et poussa de toutes ses forces sur une porte discrète donnant sur l’avant du jardin. Il rampa jusqu’au parc armé d’un sécateur, alerte et décidé. Sans hésiter, il coupa les têtes royales et les restes des roses jaunes, rouges, roses ou mauves furent balancés dans le terrain riverain. Le parc aux allures magnifiques devint un champ d’amertume et le manège continua jusqu’à l’invasion des pucerons sauvagement préméditée par les garnements, pas vus, pas pris, qui réussirent à discréditer le travail de leurs cousins.

(.../...)

lundi 10 mai 2010

9 - 6 : L'étoile flamboyante


9 – 6

- « La vengeance est un plat qui se mange froid ! » avait lâché Firmin en se cognant volontairement contre Auguste dans le couloir, les yeux luisants d’aigreur.
Le lendemain rien ne se passa, le surlendemain non plus. Un certain temps s’écoula.

Léon aimait l’heure crépusculaire, la fraîche odeur de la nuit naissante striée de lignes roses, aussi accompagnait-il sa mère dehors. Elle parcourait la pénombre du regard appelant le chat qui ne souhaitait pas rentrer bien que la pâtée soit servie. Le petit garçon en profitait pour visiter son ami Nestor, un lapin à qui il avait épargné la casserole tant son désespoir avait ému sa mère. Léon confiait ses délires enfantins à l’animal qui l’écoutait sans réagir. La lune miroitait timidement entre les nuages déjà noirs. Un petit vent frais s’immisçait sous les chemises intimant l’heure d’un dîner tardif. On posait à peine les bols sur la nappe bleue que le bénédicité d’à-côté était rincé à l’eau de vaisselle. On mangeait simple et sain sans laisser filtrer un mot. La soupe de légumes au lard, où s’imbibaient des morceaux de pain, fumait entre les mains et brûlait les gosiers. Le chat cherchait à rentrer et miaulait désespérément, la queue tendue vers le ciel, à la porte de derrière. Il faudrait se coucher aux sons de ses jérémiades et s’endormir sur une oreille en gardant un œil ouvert.
L’activité physique de la journée avait finalement raison des corps et les enfants sombraient dans un repos réparateur, nécessaire, car le lendemain ne serait pas sans importance.


(.../...)


lundi 3 mai 2010

9 - 7 : L'étoile flamboyante


9 – 7

La violence attire l’inhumanité.

Le boomerang de la vengeance venait de revenir entre les doigts de Firmin qui s’arrêta un instant sous le sapin centenaire avec un petit rictus satisfait. Il se frotta les mains vigoureusement sur l’écorce chaude, aussi dans les herbes, il les respira puis se composa une mine angélique avant de se diriger vers le perron. Il replaqua sa mèche rebelle avant de rejoindre la cuisine d’un pas de souriceau. Gérôme l’attendait pour sa leçon de calcul.

« Ils sont parfaits ces petits ! » se disait Gisèle en repassant des mouchoirs dans la cuisine.
« Si tendres ! Si calmes ! Si attentifs ! »
Bientôt elle irait mettre l’eau à chauffer pour le thé. Elle irait sortir la boîte à gâteaux de sa cachette. Les galettes de Saint-Michel-Chef-Chef récompenseraient les soustractions et les divisions du moment. Le goûter rosirait les joues de ses enfants idéaux.

(.../...)


lundi 26 avril 2010

9 - 8 : L'étoile flamboyante


9 – 8

Quelqu’un frappa à la porte.
- « Giselle ? Puis-je entrer ? »
Giselle se tapota le chignon, s’assura que rien ne traînait avant de répondre.
- « Vas-y ! »
Adèle se précipita théâtralement dans la pièce. Elle tirait à bout de bras un Léon rouge et sanglotant.
- « Mon fils vient de trouver son lapin Nestor étripé et pendu par la peau du pyjama. J’aimerais avoir une explication et vite ! »
Adèle, blême, tremblait de colère. Elle envoya un postillon fatal à Giselle qui s’essuya avant de répliquer :
- « Eh bien va trouver la police ! Ici tu n’as rien à découvrir. Quel drame pour un délicieux animal ! Quant à mes fils tu les accuses à tort, ils sont restés à leurs études tout l’après-midi, j’étais auprès d’eux. Comme à leur habitude ils sont irréprochables. »
Firmin et Gérôme se lancèrent des regards entendus.
À court d’arguments, Adèle quitta les lieux excédée. Elle grommela tout de même entraînant Léon dans son élan :
- « Mieux vaut entendre cela que d’être sourd ! »

(.../...)

lundi 19 avril 2010

9 - 9 : L'étoile flamboyante


9 – 9

De retour chez elle, l’attendait un Auguste aux pupilles hostiles.
- « Je ne pense pas que quelqu’un soit venu de l’extérieur pour crucifier un lapin qu’il n’aurait de surcroît pas volé ! Ce lapin-là, comme par hasard : son Nestor ! Qui d’autre aurait eu accès aux bêtes que Firmin ? Son débile de frangin n’est pas capable d’une chose pareille. Il aurait fait dans sa culotte rien que de tenir un couteau ! Firmin, lui, est suffisamment sadique et méthodique pour avoir dépecé Longues Oreilles ! »
- « Calme-toi mon bonhomme, console plutôt ton frère. »

Celui-ci s’était évanoui dans la nature pour pleurer librement. Il venait de s’effondrer sous le pêcher. Aveuglé par ses paumes, il se vidait de son indignation et reniflait piteusement.

- « Psitt ! Psitt ! »
Embrumé de larmes Léon réalisa à peine ces appels.


(.../...)

lundi 12 avril 2010

9 - 10 : L'étoile flamboyante


9 – 10

- « Psitt ! Psitt »
Là, il avait percuté. Il tenta de se ressaisir pour ne pas combler d’aise ses affreux cousins s’ils se présentaient.
- « Eh, toi, pourquoi es-tu si triste ? »
La voix émanait de la brèche dans le grillage du voisin. Léon sursauta tandis qu’une tête apparaissait. D’instinct, il recula.
- « Ne crains rien. C’est pour rire. Je me nomme Sarah. Toi, tu es Léon. J’ai entendu ton père t’appeler, il a une voix qui porte. Il est vrai que je t’ai prêté davantage attention depuis que tu m’as offert les roses de votre jardin. Tu as dû te faire sacrément enguirlander pour cela, mais je dois avouer que j’ai compris ton message. Je l’ai estimé très romantique… Voyons-nous demain vers la même heure si tu veux, maintenant ma mère m’attend. »
L’adorable gamine s’était dissoute dans le lierre. Léon resta interloqué par cette rencontre impromptue et singulière. Aussi muet après que pendant, il retourna rassurer les siens de sa présence.

(.../...)


lundi 5 avril 2010

9 - 11 : L'étoile flamboyante


9 – 11

Auguste vit Léon se transformer en une semaine. Au début, il pensa que ce changement était dû à la mort de Nestor mais les absences répétées de son frère finirent par attirer son attention. Léon multipliait les escapades en solitaire, il semblait absorbé, son esprit vacquait ailleurs lorsque l’on s’adressait à lui. Il était déconcentré, rêveur plus que d’ordinaire. Ce ne fut qu’au terme d’une discussion dominicale qu’Auguste était parvenu à tirer cet étrange aveu de son cadet : « il avait rencontré une étoile, une étoile flamboyante », ce qui ne l’avait ni aiguillé, ni convaincu.

(.../...)

lundi 29 mars 2010

9 - 12 : L'étoile flamboyante



9 – 12


Auguste fut puni pour avoir poussé Gérôme dans l’escalier alors que celui-ci se pressait d’aller uriner à l’étage inférieur. Le petit gros avait tournoyé avant de s’assommer sur une plinthe. Il était parti geindre. La preuve gonflait sur son front en forme d’œuf de caille. La tante Giselle avait claqué durement son neveu. Ensuite, Adèle s’en était mêlée et les paroles dégénérèrent entre les deux femmes qui s’agrippèrent par leurs tignasses. Les pères accoururent dans l’espoir de les maîtriser. Malencontreusement l’un voulu ouvrir la bouche et l’autre décida de lui fermer le clapet. Les corps se heurtaient du plus jeune au plus ancien et rebondissaient sur les murs comme pour reprendre l’équilibre permettant de nouvelles ruades. Les coups de poings remplaçaient les claques, les ouille ! et les aïe ! occupaient l’espace sonore. La scène ne prit fin que l’éreintement général survenu.
Chacun rentra chez soi, l’œil au beurre noir, claudiquant, revanchard bien qu’épuisé.

(.../...)

lundi 22 mars 2010

9 - 13 : L'étoile flamboyante



9 – 13


Auguste laissait battre son pied contre le montant du lit. Il observait son frère plier sa chemise sur la chaise en bois dans un recoin près de la fenêtre.
- « Dis-moi Léon, que voulais-tu dire en parlant d’une étoile flamboyante ? As-tu vu une comète le soir où tu pleurais dans le jardin ? »
Léon fit volte-face et offrit des iris étincelants de mystère. Il fixa son frère et alla s’asseoir contre lui après avoir longé le mur couvert de posters d’animaux sauvages blanchis par les agressives après-midi ensoleillées. Désormais, les deux tapotaient en cadence le bas du lit avec leurs talons.
- « Non, je n’ai pas assisté à la montée de l’âme de mon lapin au paradis. J’ai juste rencontré la fille des voisins. »
- « Je ne crois pas la connaître. Me voilà au parfum de ton amourette. Est-elle jolie ? »
- « Je ne sais pas. En tout cas elle réfléchit beaucoup. C’est elle qui m’a parlé de l’étoile flamboyante. L’étoile à cinq branches, celle des bons augures comme des mauvais. Paraît-il qu’elle dispense l’harmonie pour celui qui la repère. Je n’ai pas tout compris…»
- « Je pense surtout qu’elle t’a évité de trop t’apitoyer sur ton sort. Elle t’a donné l’espoir d’un destin moins angoissant. »
- « Je crois que tu te trompes. Je te la présenterai demain. Ainsi vous pourrez en discuter. En attendant, j’ai mal partout. J’ai hâte de m’allonger. »


(.../...)

lundi 15 mars 2010

9 - 14 : L'étoile flamboyante


9 – 14


Sarah ne s’attendait pas à voir surgir Léon accompagné.
- « Voici mon frère Auguste. »
Elle sourit immédiatement en passant la main à travers le feuillage. Firmin et Gérôme arrivaient au loin et les garçons se tendirent.
- « Venez, passez le grillage. Nous serons mieux chez moi. »
Ils s’exécutèrent et s’évanouirent dans un bruissement de feuilles sèches. Sarah les invita à la suivre, elle fila vers un endroit où les protégeait une luxuriante végétation. Elle grimpa dans une cabane calée entre les arbres. Ils s’installèrent, essoufflés et grisés par leur course.
- « Vous semblez avoir de l'antipathie pour vos cousins...»
- « Ce sont des arrogants sans courage, des faibles et des sournois. »
- « Je ne les connais pas pour arbitrer mais je te trouve bien remonté contre eux. N’ont-ils pas au moins autant de griefs contre vous que vous en avez envers eux ? »
Auguste baissa la tête.

(.../...)

lundi 8 mars 2010

9 - 15 : L'étoile flamboyante


9 – 15


- « Parlons d’autre chose si tu veux. C’est quoi cette histoire d’étoile que tu as raconté à Léon ? »
- « L’étoile à cinq pétales ? En fait, la nature du nombre cinq exprime la protection qu’apporte la connaissance. Le bien-être issu de la sérénité. La marque du divin qui s’accomplit dans la matière. »
- « Ton raisonnement est trop compliqué pour ma tête ! »
- « L’étoile est un symbole manifestant le nombre cinq qui est puissant dans la nature. »
- « Comment un nombre peut-il être puissant dans la nature ? »
- « Par exemple, regarde tes mains : tu possèdes cinq doigts qui te sont indispensables, n’est-ce pas ? Tu réagis par les signaux que stimulent tes sens qui sont eux aussi au nombre de cinq : la vue, l’ouie, l’odorat, le goût, le toucher. »
Les yeux d’Auguste s’illuminèrent.
- « De même pour les cinq groupes de vertèbres de ta colonne vertébrale : les cervicales, les dorsales, les lombaires, les coccygiennes et les sacrées. »
- « Sacré tu l’as dit ! C’est toi qui m’as l’air d’en être une sacrée ! Tu n’as pas plus simple ? »
- « Si : les couleurs. Les cinq ouvertures de ton visage : tes narines, ta bouche et tes oreilles. Les cinq continents. Je ne te parle pas des cinq premières races, encore moins des molécules de l’eau, etc. Bref, de tout ce qui fait que tu n’existerais pas sans ce nombre magique. »


(.../...)

lundi 1 mars 2010

9 - 16 : L'étoile flamboyante


9 – 16


Auguste était scié par tant de science.
- « Comment sais-tu tout ça ? »
- « Mon père est passionné par les mathématiques et l’ésotérisme. C’est lui qui ma enseigné le pouvoir du pentagramme. »
- « Es-tu une sorte de sorcière ? »
- « Non. En revanche nombreux sont ceux qui ont péri dans les flammes d’un bûcher pour avoir discouru ainsi. »
Une chute étouffée fut succédée d’un gémissement.
- « Il me semble qu’un intrus vient de faire une douloureuse glissade ! »
Les trois se penchèrent par l’ouverture de la cabane. En bas, Gérôme se tenait la jambe pliée sous le menton et soufflait sur l’entaille superficielle qu’il s’était faite au genou.
- « La curiosité est un vilain défaut, dit-on » maugréa-t-il.
- « Quelle idée réductrice ! Au contraire l’indiscrétion et l’intérêt génèrent d’enrichissantes situations… »
Sarah souriait entre les grimaces.
Gérôme confus se réfugia derrière Firmin. Ce dernier défia l’assemblée perchée du regard. Il se campa solidement sur ses jambes et s’écria d’un air victorieux :
- « Les méchants sont là ! »
Il n’y avait pourtant aucun doute que son alter ego n’en menait pas large.


(.../...)

lundi 22 février 2010

9 - 17 : L'étoile flamboyante



9 – 17

Sarah sauta la première sur la terre meuble. Elle se réceptionna élastique comme un chat. Dès lors, elle se trouva cernée par une tension désagréable tissée entre le clan d’en haut et le clan d’en bas. Elle se retrouva au centre d’une joute verbale incendiaire, des exhortations fusaient autour d’elle. Des invectives colériques. Les partis ennemis crachaient en sa direction des venins acidulés et fielleux qui finirent par l’ébranler. Elle se boucha les oreilles de ses mains, malgré cela, les propos vipérins la traversaient encore.
Ils ne purent que se taire. Sarah qui avait rassemblé ses forces, avait réussi à crier plus fort qu’eux :
- « Stop ! Êtes-vous devenus malades ? Pouvez-vous, ne serait-ce que m’expliquer l’origine d’une telle discorde ? »

(.../...)

lundi 15 février 2010

9 - 18 : L'étoile flamboyante


9 – 18


Ils se taisaient. Chacun creusait sa mémoire pour déterminer la cause originelle de leurs tourments. Or ne resurgissaient que des scènes semblables à celle-ci. Pas un point de départ particulier.
Firmin conclut après un soupir :
- « Ça a toujours été ainsi. »
- « Voilà une cause mal définie ! »
- « Oui, mais notre père… »
- « Oui, mais notre mère… »
- « Oui, mais vous dans cette histoire, ne faites-vous que bêtement perpétuer un héritage de rancunes ? »
Ils s’épiaient les uns les autres comme pour sonder la lueur d’une réaction.
- « Ce serait malheureux ! Vous semblez vouloir vous juger sans vous connaître réellement. Ce conflit existant entre vos parents ne vous concerne pas. De mon point de vue, vous payez pour d’autres. Vous devriez avoir le courage de vous découvrir sous un jour nouveau. Plutôt que de vous enliser dans cette fâcheuse facilité, vous devriez chercher à remédier à la haine qui déchire votre famille. Comment pouvez-vous souhaiter vous épanouir dans un contexte aussi malveillant ? »
Silence.

(.../...)