lundi 28 février 2011

6 - 4 : Le jeu du miroir


6 – 4

Ce n’est que de retour chez sa mère que Segunda avait pu redevenir elle-même. Ce soir-là, elle avait mangé peu et, dans les obscurités de sa chambre, au plus profond de son lit, elle s’était sentie mal à l’aise. Dans le silence, toutefois une voix réconfortante s’était élevée. Un son, une présence qui venaient des mystères de son être. La voix de sa tête ne devait ressembler qu’à elle-même. Chaque individu au-delà des apparences devait bien avoir quelque chose d’unique, comme cette volonté invisible qui agit depuis et par-delà du corps, une âme. Cette pensée l’avait rassérénée et suivant le balancier perpétuel la nuit avait fait place au jour.

La Segunda adulte change de disque et fait une varappe vers la boîte de chocolats avant de se rasseoir dans ses souvenirs.

Leur ressemblance les avait rapprochées malgré elles. Certes, leur individualisme en avait pris un coup, mais elles s’étaient ébranlées au point de se mettre mutuellement en marche. Elles avaient pris le temps de se connaître, de se reconnaître, de s’apprécier, de s’identifier. Elles communiquaient en dépit des mots par tout un art du regard. L’une pensait, l’autre réalisait. Tout aller équivalait à un retour. La confiance avait surgi d’un respect réciproque. Elles prouvaient l’efficacité de la complémentarité, assurant un courant perpétuel d’actions et d’ambitions. L’union faisait la force dans ce monde généreux de leurs enfances.
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lundi 21 février 2011

6 - 5 : Le jeu du miroir


6 – 5

Oh oui ! Segunda l’a aimée cette autre petite fille et elle aime encore ce rire d’enfant qui se dissout dans les couloirs du temps.
L’échange nous en apprend beaucoup sur notre véritable nature. Nous nous découvrons à travers notre désir de donner, notre capacité à recevoir. Nous évoluons jusqu’à savoir offrir, jusqu’à pouvoir mériter. Segunda serre un coussin très fort contre sa poitrine. Elle sait que lorsque tout va bien, la vie est simple et lumineuse, les états d’âmes n’existent pas. Et si le vrai bonheur se trouvait là, au point zéro du sentiment ? Les relations charrieraient le flux d’une belle et pure énergie épargnée par la confusion des sentiments. N’ayant plus à redouter notre dualité, nous pourrions nous consacrer à mieux gérer nos oppositions… L’équilibre vaincrait…


Telles les deux plateaux d’une balance, Louison et Segunda se renvoyèrent la solution jusqu’au jour où un poids les fit basculer.

Elles venaient d’avoir onze ans. Le rendez-vous était à trois heures près du kiosque à bonbons du parc de la Butte du Chapeau Rouge. Segunda n’avait pas pu assurer sa ponctualité et Louison avait fait les cent pas le long du bac à sable en l’attendant. Le ciel bleu la consolait du vent glacial. Louison avait un caractère dominant. Elle fonçait sans trop se questionner sur l’essence des choses. Généreuse et entière, elle était source de créativité et de joie, mais un rien pouvait la mettre sens dessus dessous et il lui arrivait de passer pour colérique. Segunda se montrait plus réservée, elle prenait le temps de réfléchir. Elle enviait gentiment cette toute puissance de sa meilleure amie qui ne doutait jamais d’elle-même. Louison était une affirmation de l’existence, un point d’exclamation, tandis qu’on complimentait aisément Segunda au sujet de sa maturité et de son sens de l’accompli.



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lundi 14 février 2011

6 - 6 : Le jeu du miroir



6 - 6


Pour être pardonnée de son retard, elle était apparue avec un trésor dans sa poche. Quelque chose qui méritait une réunion extraordinaire dans le gros buisson.
- " Alors, de quoi s'agit-il ? "
Louison se trémoussait d'impatience.
Segunda avait pris son temps avant de le sortir de la cachette. Elle tendit un joli petit miroir orné d'un couple enlacé sur fond de porcelaine bleue nuit.
- " On dirait qu'ils ont été peints avec de l'or. "
Louison avait saisi l'objet et entreprit une observation rapprochée de la fine peau de son visage. Elle s'était souri puis fait une ou deux grimaces.
- " Hum, hum ! Le meilleur restait à venir... "
- " Un tube de rouge à lèvres ! "
- " Je l'ai emprunté à ma mère. Il est tombé de son sac dans la rue, juste en me déposant ici. "
- " Fais voir ! "
Louison n'avait pas tardé à s'en servir et avait débordé un peu, ce qui ne manqua pas de la contrarier. Segunda, par chance, avait sorti un paquet de mouchoirs. La fillette corrigea la ligne de son sourire et passa le matériel de beauté à sa complice. Celle-ci avait peint ses lèvres calmement avant de les pincer l'une sur l'autre et de servir sa face rayonnante à son amie.
- " Je trouve que ça ne te va pas du tout ! "
Segunda s'était déconfite d'un coup.
- " Je ne sais pas, c'est peut-être la couleur. En tout cas ce n'est pas très grave. "
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lundi 7 février 2011

6 - 7


6 - 7


Segunda s'émeut aujourd'hui encore de la manière dont Louison avait quitté le grand buisson. Quelque chose avait donné une luisance d'acier à ce regard si clair.



Le fait de passer pour des soeurs avait été longtemps séduisant et protecteur. Les enfants évoluaient dans leur bulle. Elles vivaient décalées de la réalité dans un jardin où l'insouciance irisait de bonheur. Le ciel était bleu y compris en hiver et la dynamique de la croissance se manifestait dans la joie et dans le jeu. Or, comme à la suite de la venue de nuages menaçants, cette fusion admirable commença à peser à Louison. A force de ne se voir qu'à travers l'autre, elle finit par s'égarer et son humeur s'en fit ressentir quotidiennement. Des reproches anodins se transformèrent en prétextes à conflits et l'étouffement vicia la relation. Louison cherchait à se distinguer en soignant davantage ses toilettes et ses coiffures, tandis que Segunda, peu coquette, s'effaçait généralement dans le réconfort de sa ressemblance.


Segunda se dresse. Quelqu'un vient de sonner à la porte. Elle va jeter un oeil à travers le juda : une erreur, c'était pour la soirée du couple d'à-côté. Elle se prend maladroitement le pied dans le porte-parapluies de l'entrée et se retrouve face à son reflet dans la glace du portemanteau. Elle se recoiffe vers l'arrière maintenant son crâne dans l'étau de ses mains...



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