lundi 28 mars 2011

5 - 4 : Devenir


5 – 4

Là, je suis ce personnage figuratif qui avance dans l’abstrait. Je suis cet être craintif face à l’inconnu. Je me reconnais dans ce que j’ai fait de meilleur comme dans l’indicible. Je ressens à quel point je suis l’affirmation sensible de ce qui est. Je me sens fort de ce constat.
Je renifle la fraîcheur verte de l’air. Je sens forcir ma conviction de ne plus mépriser le temps. Le primordial m’apparaît. Cette morte me fait naître à l’idée que le commencement et la fin sont intimement liés.
Sylvaine semble sourire. Elle me laisse partir étrangement désinvolte. Je la libère. Dans l’allée, j’ouvre une voie inédite vers un espoir, un avenir. J’offre mon regard aux vols des oiseaux. Je me dis qu’en mémoire de ceux qui ont eu connaissance de la vie et qui m’ont enseigné, je me dispose à servir le renouveau. J’avance, non plus prisonnier, mais dévoué à la dynamique de l’Univers.

lundi 21 mars 2011

6 - 1 : Le jeu du miroir







6 – 1


LE JEU DU MIROIR

Segunda regarde dehors la rangée de culs rouges des automobilistes du samedi soir. Elle attend son carpaccio de bœuf avec impatience elle qui n’a pas d’appétit. Elle apprécie ce petit restaurant parisien pour son décor rétro et sa vitrine offerte sur le Génie de la Bastille qui toise l’Opéra depuis les airs comme une flamme d’or. Le garçon qui la sert est nouveau dans l’établissement. Il lui porte très clairement attention, ce qui ne manque pas d’épicer le dîner. Il semble traîner au moment d’apporter le café et finit pas surgir derrière elle, le regard malicieux. Elle réalise pourquoi en découvrant un papier glissé avec un carré de chocolat amer. Elle le déplie : « DAMIEN - 06 00 22 12... ». Manque de chance, il s’agit d’un mauvais prénom et cette belle journée se transforme en mauvais jour. C’est comme si on avait baissé un store métallique devant sa vue broyant la perspective de la place précieusement éclairée. Segunda ne fait plus face qu’à son reflet dont les yeux angoissés la supplient de partir. Muette, elle paie et déguerpit sans plus un égard pour le pauvre garçon interloqué tout de même.


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lundi 14 mars 2011

6 - 2 : Le jeu du miroir


6 – 2

Un petit appartement confortable dans un immeuble en pierre de taille de la rue Amelot (cinquième sans ascenseur).

Segunda rumine, le ventre noué, noyée au milieu de ses coussins ethniques. Elle écoute la musique la plus en symbiose avec son émotion. Les réminiscences confuses du commencement de son existence remontent vers la surface…

Elle se souvient avoir tout de suite réalisé l’autre en elle. Elle est entrée dans le monde binaire en apprenant à marcher. Enfant, devant le miroir, elle comparait ses membres : deux bras, deux mains, deux jambes, deux pieds, mais aussi les deux yeux, deux oreilles, deux narines, deux épaules… Or, elle n’avait pas encore étudié l’anatomie. Elle comptait sur ses poumons neufs et ignorait la complexité de ses deux hémisphères.

Un bouquet de néons étoffe la nuit omniprésente dans la pièce. Les plantes vertes projettent leurs silhouettes étranges sur les murs. Segunda s’effraie de son ombre dans cette atmosphère pourtant sécurisante et intime. Elle a la conviction que rien ne nous appartient vraiment, tout évolue au-delà de nos petites influences. Elle prend un crayon à papier sur la table basse et d’un geste insouciant elle esquisse sa pensée encore abstraite sur le papier. L’odeur du bois. Du givre sur les carreaux d’immenses fenêtres. Un préau rempli de cris d’enfants. Son regard se perd…
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lundi 7 mars 2011

6 - 3 : Le jeu du miroir


6 – 3

Nadia était apparue comme une folle, elle trépignait et bafouillait tout à la fois. Sa tête, plus ébouriffée que jamais, tournait en permanence. Segunda l’interrogea impatiente d’apprendre la nouvelle :
- « Mais que t’arrive-t-il donc ? »
- « En passant dans la cour, je t’ai aperçue, alors je me suis mise à courir et je t’ai sautée dessus. »
- « Tu racontes n’importe quoi puisque je ne te vois qu’à l’instant ! »
- « Là justement est le problème. Ce n’était pas toi, d’ailleurs j’aurais dû m’en rendre compte au manteau, enfin, cette petite fille te ressemble terriblement. »
- « Quelle petite fille ? »
- « La nouvelle. Viens, je vais te la présenter… »

Très tôt Segunda a ressenti la dualité inhérente à sa nature, ce n’est qu’ensuite qu’elle a vécu la différence, ce fameux jour où elle a rencontré l’Autre.

- «Je te présente Louison ! Louison, je te présente Segunda ! »

Les deux enfants se font désormais face. Un incroyable jeu de miroir se met en place, si perturbateur que l’animation de la cour de récréation semble se ralentir dans un souffle général de stupéfaction. Bien qu’ayant été avisée, Segunda est électrocutée par un violent frisson de surprise. Elle tend presque involontairement la main vers son parfait reflet dont le visage trahit le même effarement. Cependant ce double ne semble pas vouloir réagir selon sa volonté et voici qu’il recule tandis que Segunda s’avance d’un pas.

- « Je crois que vous venez de rencontrer votre sosie ! »
Nadia tente de briser la glace alors qu’une rumeur s’élève derrière elle :
- « Les clones ! Les clones ! Les clones ! »
Il est vrai qu’elles auraient pu être jumelles tant leurs physiques étaient similaires. Même les adultes s’étaient déplacés pour constater le phénomène.
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