lundi 26 septembre 2011

3 - 1 : Félicie Gambetta



FÉLICIE GAMBETTA


3 - 1

Félicie se dresse doucement de son vieux fauteuil, ses reins résonnent en lancinante douleur. Elle se dirige vers la fenêtre, pose ses mains de chaque côté de l’encadrement et se met à regarder dehors.
La photographie de son amour fantôme…Marcus… l’observe depuis son cadre jauni. Il semble armé de son sourire moustachu en guidon de vélo et admire sa Félicie contemporaine se découper dans la lumière au bout de la pièce. L’appartement s’est abandonné au passé, seule la vigueur du soleil réjouit ses murs silencieux, c’est pourquoi Félicie se tient là, frémissante. Elle regarde la vie à l’extérieur si souvent qu’elle a laissé son empreinte sur les carreaux. Il faut dire qu’il y a bien longtemps qu’elle se contente de capter le monde à travers ses couches de poussière qui sont autant de saisons, tant d’années qu’il n’est plus l’époque de se retourner, aussi ses iris délavés clignotent-ils chaque jour derrière la vitre. De sa vigie elle se mêle à l’atmosphère de l’avenue Gambetta. C’est l’automne, les feuilles s’échappent des tas qu’on leur impose et virevoltent en tourbillons à l’entrée du métro Pelleport. Ce n’est pas encore l’heure de la sortie des classes, non, Félicie se retourne et regarde son divan avec amour, c’est l’heure de la sieste.

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lundi 19 septembre 2011

3 - 2 : Félicie Gambetta




3 – 2

Félicie s’approche de sa forme que le temps a modelée dans les profonds coussins et s’y imbrique, se recouvre d’un plaid et cale sa tête sur un doux oreiller. Elle livre cours à ses émotions les yeux ouverts. Dire que jeune elle aurait rêvé de pouvoir faire la sieste mais que cela n’était pas possible, la vie au début est pressante. Elle sourit en se remémorant une fameuse sieste avec Marcus, elle lui jette à son tour un regard complice et tendre, puis finit par fermer les paupières. Dès l’instant que le fin rideau de chair s’abaisse, c’est dans le calme de son enfance qu’elle refait surface. Elle serre les poings et peut redevenir, un instant, l’enfant insouciante bercée par sa mère. Félicie s’évade dans un rêve. Au loin, le ronron continu des voitures se transforme en ruisseau, un grand saule pleureur se courbe au-dessus d’elle, un oiseau bleu est là, sur une branche, qui la regarde simplement.
- « Nous élève-t-on pour un jour toucher le ciel ? »
L’oiseau s’envole et vient se poser à terre près de Félicie. Il ouvre le bec et répond :
- « Viens caresser mon aile bleutée… son reflet dans la lumière me protège des prédateurs en me rendant invisible. »
- « Alors tu voles comme les fantômes ? »
- « En quelque sorte. Mais sais-tu ce qu’est un esprit toi qui en parles ? »
- « Une âme qui va au ciel… »
L’oiseau s’envole et vient atterrir sur sa tête.
- « Tes ailes à toi, ce sont les deux hémisphères de ton cerveau… »

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lundi 12 septembre 2011

3 - 3 : Félicie Gambetta


3 – 3

Quelqu’un vient de crier. Félicie se réveille en sursaut, se redresse et se dit à elle-même pour se rassurer :
- « Mais que se passe-t-il ? »
Elle se presse d’accéder à la fenêtre qu’elle ouvre timidement. Trois hommes se battent à la sortie du métro, l’un d’eux se débat à terre et hurle en accrochant son attaché-case. Les gens autour fuient ou se pressent en baissant la tête. Félicie n’en revient pas, aussi se met-elle à s’égosiller en voix off de chez elle :
- « POLICE ! POLICE ! »
Les agresseurs, dans le doute, lâchent prise et partent comme des dératés. L’homme à l’attaché-case parvient à se relever et replace ses lunettes, indigné, en rentrant dans le café d’en bas. La police n’a pas même été alertée que tout reprend son rythme normal. Félicie referme la fenêtre, sa sieste n’a pas été d’un calme olympien, cela dit, un soulagement déplisse les anciens soucis de son front.
C’est l’heure du thé. Elle passe à la cuisine, une pièce étroite pleine de bocaux et d’étiquettes aimantées sur le réfrigérateur. Félicie attrape la bouilloire chromée et la pose sur le feu, un crépitement métallique s’échappe de l’ustensile. Tandis que l’eau chauffe, son regard se perd sur son reflet gondolé, elle ferme le couvercle et sort les petits gâteaux de l’armoire. Ils ont pris l’humidité, elle les met dans une assiette, il faut les manger. L’eau bout, la boule est prête. L’infusion pourra débuter dès que l’eau ne sera plus que frémissante. Félicie regagne le salon et s’assoit à la table devant la nuit de Katmandou qui envahit sa tasse. Elle hume les arômes voyageurs du gingembre, du lotus et du litchi qu’elle reconnaît et cherche à débusquer les parfums inconnus de riches fleurs indiennes qui pourraient la faire s’évader de ce quotidien de la vieillesse parisienne. Personne ne sonne plus à la porte. Personne n’écrit plus depuis longtemps. Les rires d’enfants n’appartiennent qu’à la rue. La liberté s’arrête au départ des oiseaux. Heureusement, Marcus offre son éternelle présence depuis son cadre mais il ne répond pas et Félicie en est rendue à parler toute seule, à se souvenir ou à songer.

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lundi 5 septembre 2011

3 - 4 : Félicie Gambetta



3 – 4

- « Je vais manger un petit gâteau pour toi mon Marcus ! Pas terrible, il est mou... »
Marcus s’en fiche et continue de sourire impassiblement. Félicie retourne errer près de sa fenêtre. Les voisins sont rentrés, l’allogène est allumé. Le gamin du troisième de l’immeuble d’en face sèche devant ses cours dans sa chambre, sa mère s’anime en cuisine. Le proprio du second sort son gros chien, il passe devant la caserne des pompiers et y lance au passage un coup d’œil inquisiteur. Les collègues se retrouvent au café, c’est l’apéritif qui débute dans des cris de retrouvailles. Le boucher de la rue Haxo leur fait signe qu’il arrivera tout à l’heure. Une nuit épaisse a recouvert la ville bien qu’il soit encore tôt. Les passants accélèrent le pas suivant les conseils du vent qui rafraîchit les esprits. Une file se crée au tabac, les voitures ont allumé leurs phares et commencent à klaxonner nerveusement.
- « De stress, mon pauvre Marcus, voilà de quoi vivent les gens d’aujourd’hui ! Ils n’ont le temps de rien. »


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