lundi 30 janvier 2012

Homicide X : 2 - 2


2 – 2

Le faux silence, le jour si cru et la toile si présente. Ce corps si réel, sa vibration obsédante, Samuel ne peut finalement s’y dérober. Il ne se souvient pas d’avoir peint autre chose que des femmes. Elles l’ont toujours particulièrement inspiré. Souvent, il ne s’attache qu’à un détail car leurs ensembles lui paraissent trop évidents. Il cherche leurs couleurs intimes, leurs fascinantes gestuelles, le moyen de les faire taire. Il veut l’animation, le goût secret du sucre et de l’amertume. Il espère l’apaisement après la passion sensuelle de l’application des matières sur le support encore vierge. Il se régale de sa cuisine d’huiles et de pigments. Il se grise aux essences anciennes. Il vampirise son modèle jusqu’à l’abandonner, vidé, dans un coin de la pièce, figé dans la pose. Il parvient à s’oublier lui-même pour ne laisser vie qu’au hasard d’une rencontre, qu’à la magie d’un instant. Il aime la pluie sur l’atelier, l’alcool fort et la limite d’un pas franchie. Il affectionne les teintes franches et les obscurités. Il exprime les cruelles vérités.

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lundi 23 janvier 2012

Homicide X : 2 - 3


2 – 3

Midori n’a pas bougé. Fièrement, elle tient sans broncher. Ses poignets liés lui étirent les bras en une contraignante prière. Ses jambes de sirène très blanches sont repliées sous elle et ne laissent apparaître que ses chevilles fines de porcelaine bleutée. Sa longue chevelure noire et épaisse casse, luisante, sur l’onde de sa taille et va mourir sur ses hanches. Ses pieds sont des lotus aux pétales entrouverts.
- « Ce n’est plus humainement tolérable. Je vais te décrocher… »
Samuel se précipite soudain. Il prend une chaise au passage et grimpe dessus pour dénouer le lien. Midori se laisse faire. Pas un mot.
- « C’est trop serré. Attends, je vais chercher de quoi couper. »
Il revient avec un énorme couteau de chasse. Il remonte sur la chaise et après une profonde inspiration, il coupe le cordon.
Le corps tombe de son piédestal sur le tapis rouge.
- « Ça ne va pas… »
Samuel agrippe les chevilles et tire pour déplier le corps.
- « C’est pas vrai ! »
Midori est rigide. Elle ne veut pas s’allonger.
- « Il va falloir te détendre ! »
Samuel s’entête et enfin, l’une des jambes cède puis l’autre après un craquement sordide. Il sue à grosses gouttes. L’odeur est épouvantable. Il passe à l’avant pour lui mettre les bras le long du corps mais voici qu’une jambe commence à se rétracter derrière lui pour reprendre sa forme initiale. À bout de nerfs, il part dans la cuisine se servir une vodka. Il ouvre la fenêtre, le soleil l’envahit, il se retrouve aveuglé. Il se fait au plus vite une visière de doigts rouges et finit par tourner plus radicalement le dos. Il descend son verre et retourne à côté. Midori semble être une poupée abandonnée au sol par un enfant colérique. Un rai de clarté traverse son regard vitreux. Alors, il s’y atèle de toute sa volonté et réussit par l’enrouler dans le tapis comme un gros nem. La tâche s’avère épuisante et Samuel finit par s’asseoir dessus, la tête entre les mains, liquide et essoufflé. Il ressort son mouchoir, se le passe sur le visage, le cou, la nuque. Il se décide à aller prendre une douche froide. Il ne reparaît qu’un long moment plus tard en pagne et les cheveux humides. Après un regard circonspect dans la pièce, rien n’a changé, il peut aller faire sa sieste. Il monte l’escalier qui mène à la chambre, une pièce spacieuse. Il y fait le noir en tirant de lourds rideaux et allume la lampe de chevet près du grand lit carré. Il vérifie que tout va bien puis il éteint avant de s’étendre en croix. Ses yeux restent collés au plafond. Un souffle parvient à pénétrer entre les sombres voilages. Un rayon fend l’espace et dore la poussière en suspension. Cette fois, Samuel ferme les paupières, il se masque de ses paumes, pourtant des lumières flashent l’écran de sa conscience…

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lundi 16 janvier 2012

Homicide X : 2 - 4


2 – 4

Les spots irradiants d’une boîte de nuit Parisienne, Midori qui danse contre les corps moites, électrisée par la musique aux basses impitoyables. Son corps frappé par les faisceaux des projecteurs, son audacieuse ondulation, sa lèvre qu’elle mord…

Samuel rouvre les yeux, le rai de soleil continue à vibrer dans l’air, la poussière persiste à virevolter. C’est encore une belle fille. Elle n’est pas encore ce rouleau de printemps périmé qui dort en bas…

Son visage est plus abstrait que ses formes.
Elle en veut, elle se déhanche sans pitié. Le monde n’est rien sous ses pieds. Il la veut. Il la désire. Il rôde. Elle puise dans son regard l’énergie qu’il lui faut pour suivre la cadence binaire et fuyante. Il l’envisage. Elle s’offre à la sensuelle agitation des nappes cristallines livrées par les mélodies électroniques. Il se colle à la balustrade. Elle l’inspire. Il la dévisage. Elle s’étire. Il est en nage. Elle abandonne la cadence et vient le frôler avant de s’engager vers l’arrière-salle. Samuel sent l’attraction lactée de cette peau si pâle qu’elle laisse une traînée luminescente dans la nuit de lumière noire. Le prédateur est en éveil, les odeurs l’enveloppent davantage, il la renifle presque, tandis qu’elle s’est laissée approcher sur un divan de velours rouge. Elle est ce doux fruit à l’arôme floral qui suinte le musc et l’aventure, là, juste à portée de ses doigts, mais il ne souhaite pas la toucher, pas encore. Il veut observer ce fruit insolite, l’aider à mûrir avant de le croquer.

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lundi 9 janvier 2012

Homicide X : 2 - 5


2 – 5

- « Vous êtes très belle mademoiselle. »
Elle ne sourit pas. La seule chose qui la taraude est la manière d’attacher sa queue de cheval. Elle pousse un soupir blasé sans le quitter des yeux. Un autre couple s’incruste sur le divan dans son dos et lui tire les cheveux par mégarde. Elle bondit et leur crache des paroles inaudibles. Samuel profite de l’incartade pour lui saisir le poignet et l’entraîner à sa suite dans le brouillard de tabac. Les veines chaudes palpitent dans sa main, Samuel défie la barrière de danseurs qui s’écartent en sautillant.
Ils longent les enceintes, elle récupère sa main pour se boucher les oreilles néanmoins elle continue de le suivre. Ils se présentent au vestiaire :
- « Samuel, et toi comment t’appelles-tu ? »
- « Midori. C’est japonais. »
Elle est grimpée sur deux marches pour arriver à sa hauteur.
- « Alors, on y va ? » dit-elle.
- « Où ça ? »
- « Eh bien chez toi ! On ne va pas sonner chez mes parents à cinq heures du matin pour aller baiser dans ma chambre ? »
Samuel monte l’escalier sans plus poser de questions. Il salue le physionomiste et débouche sur le boulevard toujours nocturne. Il hèle un taxi en projetant sa silhouette dans ses phares.

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lundi 2 janvier 2012

Homicide X : 2 - 6


2 – 6

Samuel vient d’être secoué par un spasme. Il se redresse dans une nausée soudaine, son estomac se rétracte douloureusement. Il n’a pas mangé depuis la veille. Le sommeil ne viendra pas.
Il descend jusqu’à la cuisine et se fait des spaghettis au beurre le tout arrosé à la vodka. Il retourne se poser dans son fauteuil en cuir pour manger. Son regard se diffuse dans le parquet jusqu’à ce qu’il constate l’emprunte cerclée de poussière du tapis. Il tique. Il part en quête de l’aspirateur et fait glisser au passage son assiette sur le rouleau de printemps. Ce n’est qu’après avoir aspiré toute la pièce et une bonne partie du couloir que Samuel s’autorise à finir son assiette. Il vérifie la porte d’entrée et remonte se coucher.
Il dort. Ses orbites semblent animées par son film intérieur :
Midori se faufile dans la ruelle où il habite. Il lui indique l’immeuble et l’étage et la porte. Elle entre dans l’appartement. Il allume. Elle flâne entre les toiles tandis qu’il leur sert à boire. Il ne la quitte pas des yeux. Elle marche et ses cuisses froissent le tissu léger de son pantalon en se frottant l’une contre l’autre. Ce doux froissement lui fait penser à un vol de papillon. Samuel songe au printemps qui vient d’entrer chez lui. Elle est là. Il est ivre de promesses, elle lui fait face et…
Samuel se dresse horrifié dans son lit : elle est là ! En bas…
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