lundi 21 novembre 2011

Homicide X : 2 - 12


2 – 12

Samuel s’abandonne à nouveau, sans palette, il jette les couleurs sur la toile. Il les caresse ou les attaque, les griffe, les mélange, les lisse ou les empâte. Il contraste la blancheur opaline de son corps d’huile fraîche avec l’assombrissement d’un paysage qu’il n’esquisse qu’à peine dans l’atmosphère d’une lune probablement dévorée par les nuages. Plus il pénètre l’image qu’il crée et plus il progresse dans ses propres révélations. L’été, qui pourtant, à poser ses valises dans l’atelier ébloui et surchauffé, ne transparaît d’aucune manière sur la toile. La noirceur mystérieuse et intemporelle d’où jaillit la Midori figurée ne transmet qu’un frisson d’étrangeté. Il ne fait pas si chaud à l’orée de ce corps bloqué dans l’obscurité. Le tableau est loin d’être achevé mais il est sorti. Il existe déjà. Il produit un effet encore un peu confus du fait de sa luisance extrême. Samuel s’essuie les mains et remet sa mèche en arrière.
- « Nous allons faire une pose ! »
Il va aider Midori à descendre, l’assiste pour passer un peignoir et l’invite à le suivre dans la cuisine. Il propose un verre d’eau. Elle accepte un soda et se contente d’un sirop d’orgeat. Il se sert une vodka. Ils se désaltèrent en fixant le cul de leurs verres, essoufflés par la température exceptionnellement caniculaire. Précisément, ils n’ont plus grand-chose à se dire. Ils sont près des fourneaux comme un vieux couple d’hypertendus, convaincus que tout ce qui est atteint est détruit. De retour de l’autre côté, Samuel incite Midori à venir voir ce qu’il a avancé. Celle-ci refuse. Princesse hautaine, elle regrimpe sur son trône sans desserrer les lèvres. Sans tarder, Samuel reprend son ouvrage. Sa créature s’est opacifiée sous l’assaut des rayons solaires alors il la galbe, joue des nuances, arrondit ses anguleux secrets. On entrevoit un visage assez flou, un regard indistinct qui mène droit au rêve. Samuel retravaille avec un pinceau fin les reflets de la chevelure mouvementée. Il peaufine la douceur du grain, l’air menaçant de ce sein pointé vers le ciel. Il retouche les plis de la taille, l’ombre des chevilles, des genoux, la cambrure du pied. Il s’applique à la vérité de ses mains suppliantes, à la souffrance de ce corps en attente.

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