lundi 29 juin 2009

10 - 30 : Prophétie


10 – 30


- « Voici arrivé l’instant tant attendu ! Par la main d’un homme tu vas découvrir ta nature divine et tu vas vraiment naître. Par amour je vais te vouer à la lucidité suprême. Tu vas goûter au privilège des élus. »

La cigarette se consumait à une vitesse vertigineuse. Les cendres se détachaient et chutaient en poudre grise. J’étais prise de terreur à l’idée de ce qu’il allait faire. Il savourait son tabac meurtrier.


Était-ce un ultime soubresaut de désespoir ? Était-ce un réflexe instinctif de survie ? Je ne sais pas. Mais j’ai réincorporé mon enveloppe, néanmoins, je ne parvenais pas à en reprendre la maîtrise. Je me sentais fluidique, si légère dans cet organisme rivé au sol, lourd de souvenirs et de sensations. Je lui envoyais mille signaux qu’il ignorait. Je paniquais devant ma propre inertie.


David s’était levé sans que je m’en aperçoive, j’étais trop préoccupée à tenter de tirer mon corps de son néant. Il me salua d’un geste auguste et il prit la fuite entraînant Monsieur derrière lui. Des flammèches courtes s’élevèrent vite en spirales autour de moi. Une fumée grisâtre et de petites détonations me tirèrent de mon vain emportement. Le feu était partout. Des flammes mouvementées balayaient le cadre de l’appartement. Tout ce que j’avais connu, tous mes repères se consumaient. Mes dentelles prirent feu. Je voulais à nouveau sortir de là, quitter la souffrance de ce corps. J’étais prisonnière. Je hurlais sous le crépitement terrifiant de ma peau qui calcinait. Les rideaux étaient des vagues brûlantes. Les meubles se muaient en braises infernales. Les gaz semblaient vouloir refluer par tous mes orifices. Et puis j’ai été aveuglée. Une lumière éblouissante. Une lumière comme un rappel de ce qu’était la douce chaleur. Je me suis comme éveillée. Je dormais dans l’herbe, sous un arbre. Le soleil venait lécher mon visage à travers les feuillages d’un vieux chêne. Je me suis assise et j’ai parcouru l’horizon du regard.




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lundi 22 juin 2009

10 - 31 : Prophétie



10 – 31


J’avais fait un cauchemar. David était au loin entrain de me cueillir un bouquet de fleurs des champs. Il me faisait penser à un papillon butinant entre les boutons d’or, les pâquerettes et les coquelicots. Je me suis levée et j’ai couru vers lui. Les herbes folles chatouillaient mes jambes. Les insectes s’envolaient sur mon passage. Le climat était doux. Lorsque je l’ai atteint, il a tendu un bras vers moi et sa main ouverte m’a stoppée net.


- « Ne va pas si vite ! »

Il a sorti une carte de la poche intérieure de sa veste et me l’a tendue. Il a disparu le temps que je relève les yeux. Le climat a fraîchi d’un coup, j’ai frissonné. J’ai regardé partout autour, or, il n’y avait rien, que la campagne à perte de vue, pas âme qui vive. Là, j’ai pris conscience du fait que je ne connaissais pas cet endroit. J’ai regardé la carte de David et, immédiatement, j’ai reconnu la sixième, arcane majeur du Tarot : l’Amoureux. J’ai marché, longtemps, sans itinéraire. J’ai même espéré la perspective d’un clocher, l’appel mystérieux d’une chapelle. Non. J’avançais dans des herbes de plus en plus hautes et de plus en plus humides. La pluie avait crevé l’écran de nuages. Désormais, j’étais trempée, mes cheveux collaient à mes joues, je tendais un front suppliant vers les cieux pourtant offensifs. J’étais découragée. J’étais vidée. La carte que David m’avait donnée venait de m’échapper des mains. L’encre avait déteint sur mes doigts. Je me suis penchée pour la ramasser. L’arcane 6 du tarot représentant l’Amoureux s’était liquéfié. J’étais horrifiée devant ce qui me restait en main : l’arcane majeur 15 du tarot. 1 + 5 = 6. Le ciel finissait de s’écraser sur ma tête. Mes doigts fourmillaient. J’éclatais en un orage de sanglots et je tombais à genoux, incapable de lâcher la contrepartie nocturne de mon Amoureux : le Diable. Je tremblais spirituellement. Le décor se volatilisa. J’étais bel et bien morte et j’avais vendu mon âme au diable.

lundi 15 juin 2009

11 - 1 : 7 ans



7 ans

11 – 1


Je me prénomme Alix.

J’ai 7 ans, l’âge de raison, l’âge où l’on a le droit de se taire, de tourner 7 fois sa langue dans sa bouche comme ils disent.

Contrairement à ce que l’on peut penser, 7 ans ce n’est pas le septième ciel. Certes, je vis encore un peu l’extase des 7 pêchés capitaux de mon enfance : je suis trop orgueilleuse, j’ai des souvenirs vivants de cordon ombilical. J’ai envie de tout toucher, goûter, connaître et mon insatisfaction me met parfois en colère. J’aime compter les euros de ma tirelire devant mon poster de Picsou. J’adore paresser en m’adonnant à la gourmandise devant la télévision. Le mystère de la sexualité n’est pas un étranger, j’ai déjà plusieurs amoureux à l’école pour vous dire…

Pour obtenir ce que je désire, je fais mon cinéma, de longues tirades plaintives, des bobos placébos, des bouderies de star que le septième art m’autorise. Je devrais faire preuve de prudence et de discernement, on attend tant de perfection de moi. Des 7 vertus, seules la prudence et la tempérance me font vraiment défaut, j’ai foi en ce que je découvre, j’ai espoir en l’avenir qui vit en mon être et la force juvénile, je suis charitable en tendresse et j’ai le sens de la justice. Je ne supporte pas les adultes qui n’appliquent pas ce qu’ils imposent. Je mûris en me régénérant, tous les 7 ans mon sang se renouvelle complètement ; je suis un sang neuf prêt à traverser les 7 océans, à conquérir les 7 continents, l’Europe, l’Asie, l’Amérique, l’Océanie, l’Afrique, j’irai jusqu’en Arctique, jusqu’en Antarctique…

J’irai contempler les 7 merveilles du monde.





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lundi 8 juin 2009

11 - 2 : 7 ans


11 – 2



La semaine prochaine je pars en vacances.

Pour l’occasion, le camping-car des années 80 de mon beau-père est en révision. 7 jours à patienter. Encore quelques heures de classe, le temps d’une gamme de 7 notes en cours de musique, des couleurs de l’arc-en-ciel du cours de dessin. J’attends, mieux, j’espère, le seul jour de la semaine qui n’a pas un nom de planète : ce jour où Dieu se reposera tandis que nous prendrons la route.

Une belle journée ensoleillée, un grand ciel bleu prometteur.

Sabrina (la grande copine de maman) arrive sur les chapeaux de roues avec son sac de sport. Maman regarde son gros ventre dans le miroir avant de peaufiner sa coiffure (on m’a expliqué qu’elle attend des jumeaux depuis cinq mois). Mon beau-père, épuisé de la garde qu’il vient de faire à l’hôpital, se donne du courage la tête plongée dans l’arôme de son café noir. Moi, je suis prête, dynamique, je piétine dans l’appartement, j’observe la finalisation des préparatifs avec engouement. Nous descendons les affaires avec frasques dans les couloirs de l’immeuble parisien puis les chargeons dans le camping-car garé en double file devant chez nous. Maman monte à l’avant à côté de Matthieu. Je monte à l’arrière avec Sabrina. Le moteur démarre, Sabrina perd l’équilibre et tombe les jambes en l’air sur le lit, nous rions. Nous quittons la capitale. Un jour de joie. Les vacances ! Nous sommes au grand complet, vierges de toute angoisse. Je chante et maman reprend en cœur les refrains. Matthieu reste concentré sur la route. Sabrina se laisse bercer par le ronronnement du moteur et l’abstraction du paysage urbain qui défile. Les premiers champs de l’île-de-France nous ouvrent bientôt une perspective. Ça nous change des immeubles en pierre de taille et des HLM à perte de vue. Je compte les poteaux électriques. Je regarde les colliers d’oiseaux perchés sur les fils. Le coton des nuages m’apporte de la douceur. Maman pose la main sur la cuisse de Matthieu, il tourne la tête et lui offre un sourire.

- « Nous arrivons près de Meaux ! »




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