lundi 26 décembre 2011

Homicide X : 2 - 7


2 – 7

Comme Midori reste silencieuse, Samuel parle de sa vie. Du pourquoi il est devenu peintre, de son refus de la réalité.
- « Alors pour toi je ne suis qu’un fantasme de plus. »
- « Cela te dérange ? »
- « Bien au contraire ! »
- « Que veux-tu dire ? »
- « Nous sommes des consommateurs, voilà tout. Toi tu veux pomper ma jeunesse et moi ton portefeuille, quelque part l’équilibre est respecté. »
- « Tu veux de l’argent ? Mais c’est du délire ! »
Samuel est choqué.
- « Pourquoi m’as-tu ramenée chez toi ? Pour me baiser ? Pour me faire poser ? Qu’importe que ce soit pour l’un ou pour l’autre, de toute façon, il te faudra payer. »
-« Ok ! Puisque c’est comme ça, tu vas poser ! »
- « Nue ? Alors ce sera plus cher ! »
- « Déshabille-toi ! »
- « Les billets d’abord. »
Samuel lui tend l’argent. Son excitation se transforme en passable irritation. Il ne supporte plus ce chewing-gum qu’elle mastique bouche entrouverte. Sa moue est à la fois candide et extrêmement étudiée. Qu’elle âge peut-elle avoir exactement ? Seize ans, dix-sept ans peut-être… Peu importe, il a payé, il a tous les droits ! Comme elle dit : le client est roi. Elle plie consciencieusement ses billets dans son porte-monnaie et sans lever les yeux, entreprend son strip-tease.
- « Tu peux être belle mais tu es d’une banalité en cet instant précis ! »
Elle est piquée, sa cambrure s’est affirmée d’un coup, son regard noir luit rageusement.
- « Voilà, là tu as du chien ! »
Elle bout, coite, attendant qu’il lui explique la suite de son élucubration.
Samuel improvise une estrade avec la table du salon sur laquelle il précipite un linge bleu en cascade. Il lui fait signe de monter.
- « Je ne t’aide pas puisque tu es une vraie professionnelle ! »
Elle ne se laisse pas démonter et s’installe sur son piédestal plus boudeuse que jamais. Il s’assied dans son fauteuil et la contemple un long moment sans commentaire.

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lundi 19 décembre 2011

Homicide X : 2 - 8


2 – 8

- « Je ne vais peindre que ton corps. Ton visage est fermé tant tu es gênée. »
- « Je ne suis pas mal à l’aise ! »
- « Ce n’est pas la nudité qui t’effraie, c’est mon regard. Ce qu’un vieux con comme moi peut bien penser d’une si jeune personne qui se vend déjà. Ce que songeraient tes parents en te voyant affalée sur mon drap bleu. Tu es si concrète que le rêve semble s’être détourné de toi. Ton esprit n’est pas formé que ton corps s’étale déjà sans complexe. Ma toile va sentir la chair fraîche. »
- « Parce que tu ne te vends pas à travers ton art peut-être ? »
- « Si. Mais je maîtrise ce que je donne autant que ce que je prends. »
- « Alors nous sommes trop différents pour nous comprendre. »
- « Au contraire, nous partageons la crainte du lendemain. Moi, je vis ma bohème et toi, tu engranges ce que ta fraîcheur peut te rapporter. »
- « Ce n’est pas moi qui détermine le fonctionnement du système. La sélection naturelle d’aujourd’hui c’est la richesse et la beauté. Il se trouve que nous ne sommes pas égaux. J’ai eu de la chance, je ne suis pas vilaine, aussi, suivant les conseils de Ronsard, je n’ai pas l’intention de passer à côté des portes que mon physique peut entrouvrir.»
Samuel soupire à son tour. L’atelier s’illumine à l’aurore. Il se sent accablé par sa nuit mais il décide de se mettre au travail. Il se perd silencieusement dans ses préparations.

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lundi 12 décembre 2011

Homicide X : 2 - 9


2 – 9

La toile lui fait désormais face. La surface vierge le fait frissonner. Il vibre sous le coup de multiples émotions qu’il ne trie pas encore, il les exprimera par la grâce des matières. Il fait un pas en arrière, retient sa respiration comme s’il ne devait jamais refaire surface. Mécontent, il grogne et traverse l’atelier jusqu’à Midori qu’il saisit brusquement. Il lui impose une attitude suppliante, les bras tendus et les paumes offertes au regard du ciel. La position très anti-naturelle devait rapidement devenir un supplice pour la demoiselle dont les coudes tremblotants indiquent déjà le calvaire.
Enfin satisfait, il regagne le point de vue de son chevalet. Il s’arme d’un pinceau puis expire au maximum avant de saisir avec assurance les contours de la jeune fille d’un noir luisant teinté de grenat. Ses élans, presque brutaux, font apparaître le mouvement sur la toile, ironie, tandis qu’il considère son modèle immobile. Un soleil blafard déambule dans la pièce. Samuel est un animal livré à son instinct, il griffe l’épaisseur de la sombre pâte huileuse avec un couteau, le pinceau gît au sol, il était devenu inutile. Par sa gestuelle, il accentue l’étirement de son personnage, déterminé à faire jaillir un esprit de ce corps.
Dès l’instant qu’il peint, le temps n’existe pas.
Midori à la limite de défaillir, baisse les bras.
Le peintre l’ignore, perdu dans son combat avec la matière. Ses doigts sont gluants de la chair de son personnage, ses yeux sont absorbés, ailleurs, dans cet inconnu qu’il crée. Elle glisse lentement jusque sur le tapis épais et trotte le plus discrètement possible vers la cuisine. Elle se sert un verre d’eau. Elle ouvre le réfrigérateur et y passe la tête pour se rafraîchir. Il n’y a rien dedans hormis de la bière et une bouteille non étiquetée.
- « Tu peux me dire ce que tu fais là ? »

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lundi 5 décembre 2011

Homicide X : 2 - 1O



2 – 10

Midori fait face. Les fourmis qui lui courraient dans les bras se sont figées dans ses veines.
- « Je me désaltère. Il s’agit d’un acte vital, tu n’as aucun droit de me l’interdire. »
- « Tu as raison. Je n’ai nullement l’intention de te nuire, tu sais. Je ne suis pas un criminel. Je n’ai jamais tué personne. Tous les hommes ne sont pas les monstres que tu imagines. »
Samuel dégouline. Midori le trouve presque touchant, bien qu’un peu pitoyable. Elle n’est pas fan de peinture, ce type n’est rien pour elle. Il est même très éloigné de l’idéal d’une demoiselle de seize ans qui en paraît vingt-deux. Elle a conscience de la valeur commerciale du corps de sa jeunesse. Elle conçoit la place des fantasmes dans ce monde de virtualité. En poupée manga, elle entre dans le jeu des adultes, dans les enjeux et les vices du quotidien. Elle ne perdra pas sa partie. Elle consommera sa part, ce sera toujours cela de pris, qu’elle trouve ou non un sens à la vie, une réelle utilité.
Samuel détaille Midori nue dans sa cuisine. Elle n’a strictement rien d’une ménagère. Elle traîne jusqu’en plein jour ce je ne sais quoi de lunaire, comme un manque de réactivité au soleil, une pâleur revendicatrice d’obscurité. Ses yeux sont des braises mystérieuses qui transpercent une frange épaisse. Elle doute, aussi se montre-t-elle agressive. Il fait un pas vers elle, pose la main sur son ventre, puis il passe dans son dos et fait remonter sa main jusqu’à la maintenir muette. Il frôle l’oreille percée :
- «Après nous avoir accouchés, les femmes n’ont qu’une façon de nous espérer à nouveau dans leurs ventres : en nous dévorant. »
- « Je n’ai rien compris ! »
- « Retourne poser. »
- « Mais j’ai très mal dans les bras ! »
- « Vas te préparer. Je reviens avec la solution. »

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