lundi 28 novembre 2011

Homicide X : 2 - 11


2 – 11

Samuel se dit en lui-même en partant que si les femmes avaient conservé une confiance impassible en l’homme, elles n’auraient pas à s’épuiser en rivalité puérile. Le sexe fort, l’emblème phallique millénaire, c’est quand même bien Lui. Devant l’effort physique, elles avaient besoin de bras. Voilà le résultat de l’ère technologique : moins de muscles et plus de prises de tête. Ce nouveau millénaire sera spirituel, paraît-il ? Faudra-t-il que toutes les femmes prennent une démarche de charretier et que les hommes acceptent la castration morale ? La religion nous conseille l’amour et promulgue les attentats. La société charrie et saigne ses hordes de célibataires. La génétique vole l’arc de Cupidon… Samuel gravit l’escalier, à l’étage, il se penche au balcon et jette un cil sur Midori, qui, juste sous lui, assise sur la table laisse balancer sa jambe telle une enfant affranchie. Il soupire en passant devant la porte de sa chambre qu’il referme machinalement et s’engouffre dans sa caverne aux trésors au bout du couloir. Ici, il archive, il entrepose tout cet indispensable dont il n’use que rarement : meubles en attente de rafraîchissement, objets insolites dénichés dans les vide-greniers du quartier, lampes sans lumière, horloge sans tic tac. Il se met à fureter, inconsistant au milieu des cartons non étiquetés et des sacs de voyage vides. Voilà qu’il tombe sur une corde assez longue pour le satisfaire aussi s’en retourne-t-il le cœur léger. Lorsqu’il reparaît du haut de son balcon, il lance en souriant un :
- « J’ai trouvé !», faisant immédiatement démonstration de sa trouvaille.
- « Tu as décidé de me pendre? »
Midori laisse sortir un bout de langue rose à une encoignure de sa bouche et révulse les yeux, agonisante.
- « En quelque sorte, mais tu vois le mal partout, je pensais principalement à te soulager… »
Il noue la corde à la balustrade puis fait remonter l’autre extrémité jusqu’à lui et la fixe.
– « Mon grand-père m’a appris à faire certains nœuds qui servent aux marins. L’un d’entre eux a le pouvoir de ne pas se refermer. Ainsi tu pourras prendre appui sur la corde ce qui te demandera un moindre effort. Nous ferons des pauses régulières. J’ai posé une bouteille d’eau près de toi… »
Midori se remet en prière. Elle semble s’être décontractée malgré la difficulté de la tâche.


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lundi 21 novembre 2011

Homicide X : 2 - 12


2 – 12

Samuel s’abandonne à nouveau, sans palette, il jette les couleurs sur la toile. Il les caresse ou les attaque, les griffe, les mélange, les lisse ou les empâte. Il contraste la blancheur opaline de son corps d’huile fraîche avec l’assombrissement d’un paysage qu’il n’esquisse qu’à peine dans l’atmosphère d’une lune probablement dévorée par les nuages. Plus il pénètre l’image qu’il crée et plus il progresse dans ses propres révélations. L’été, qui pourtant, à poser ses valises dans l’atelier ébloui et surchauffé, ne transparaît d’aucune manière sur la toile. La noirceur mystérieuse et intemporelle d’où jaillit la Midori figurée ne transmet qu’un frisson d’étrangeté. Il ne fait pas si chaud à l’orée de ce corps bloqué dans l’obscurité. Le tableau est loin d’être achevé mais il est sorti. Il existe déjà. Il produit un effet encore un peu confus du fait de sa luisance extrême. Samuel s’essuie les mains et remet sa mèche en arrière.
- « Nous allons faire une pose ! »
Il va aider Midori à descendre, l’assiste pour passer un peignoir et l’invite à le suivre dans la cuisine. Il propose un verre d’eau. Elle accepte un soda et se contente d’un sirop d’orgeat. Il se sert une vodka. Ils se désaltèrent en fixant le cul de leurs verres, essoufflés par la température exceptionnellement caniculaire. Précisément, ils n’ont plus grand-chose à se dire. Ils sont près des fourneaux comme un vieux couple d’hypertendus, convaincus que tout ce qui est atteint est détruit. De retour de l’autre côté, Samuel incite Midori à venir voir ce qu’il a avancé. Celle-ci refuse. Princesse hautaine, elle regrimpe sur son trône sans desserrer les lèvres. Sans tarder, Samuel reprend son ouvrage. Sa créature s’est opacifiée sous l’assaut des rayons solaires alors il la galbe, joue des nuances, arrondit ses anguleux secrets. On entrevoit un visage assez flou, un regard indistinct qui mène droit au rêve. Samuel retravaille avec un pinceau fin les reflets de la chevelure mouvementée. Il peaufine la douceur du grain, l’air menaçant de ce sein pointé vers le ciel. Il retouche les plis de la taille, l’ombre des chevilles, des genoux, la cambrure du pied. Il s’applique à la vérité de ses mains suppliantes, à la souffrance de ce corps en attente.

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lundi 14 novembre 2011

Homicide X : 2 - 13


2 – 13

Le téléphone retentit de façon surprenante. Samuel hésite et disparaît finalement en se vengeant sur le torchon. Ne parviennent que des bribes de conversation :
- « Non, mais tu plaisantes !... »
Rire. Silence. Rire. Soupirs. Les sons s’éloignent. Midori tend l’oreille. Rien. Elle décide d’aller écouter ça de plus près. Il raccroche. Elle glisse. La corde coulisse sous la traction. Midori, surprise, voit Samuel revenir les yeux baissés, radieux. Il abandonne le torchon avec lequel il était parti, il récupère sa veste sur le portemanteau et lui lance juste un : - « Je reviens… »
Elle entend déjà se refermer la porte d’entrée.
Midori n’en revient pas. Elle se dit tout haut :
- « Il s’est barré ce con-là ! »
Machinalement, elle tire sur la corde mais celle-ci s’est resserrée sur ses poignets. Elle s’agace et au comble de l’excitation, elle se déchaîne sur son lien, qui à l’inverse de l’effet désiré, se rétracte au point de la blesser. Désormais debout, elle essaie de reprendre son souffle qui s’accélère dans la panique entraînant ses pulsations cardiaques.

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lundi 7 novembre 2011

Homicide X : 2 - 14


2 – 14

Samuel tourne au coin de la rue. Il traque l’ombre. Le bruit jaillit de toutes parts lorsqu’il débouche sur le boulevard. Il fuit jusqu’au café de « L’Escargot » où Benjamin et Jean l’attendent, déjà à moitié ivres.
Les vieux amis sont là avec leurs souvenirs de quatre cents coups et de coups à remettre. Ils se gondolent pour un rien, étayant le comptoir.
- « Tu ne vas pas être déçu d’être venu ! »
- « Alors que se passe-t-il ? »
- « Laisse tomber. Paie ta tournée et suis-nous ! »
Samuel ne cherche plus à comprendre. Il se commande un Jack et se laisse absorber par la conversation. L’alcool monte, il suffoque, espérant le retour du ventilateur mobile.
- « Je file aux toilettes. Nous n’allons pas tarder… »
Benjamin contourne le flipper et disparaît dans l’angle mort.
- « Tu peux bien m’éclairer Jeannot… »
- « Toute occasion rare, nous est chère, tu te rappelles ? »
- « Oui, cela dit, je ne suis pas beaucoup plus avancé. »
Benjamin reparaît.
- « Tu vas voir ! »

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