lundi 30 novembre 2009

10 - 8 : Prophétie




10 – 8

Mon pain était mou. J’avais préparé un thé au jasmin, je regardais au fond de ma tasse, mon œil s’y reflétait. J’avais la sensation d’être observée par cet œil sage et indifférent qui me laissait penser que cette eau primordiale précédait l’organisation du cosmos.

J’avais quasiment veillé tant j’avais composé de significations à la pierre messagère, or, là, j’étais précisément sereine. Elle ne me taraudait plus, cette histoire n’avait aucun sens...
Un coup retentit à la porte, suivi d’un second moins distinct. N’attendant personne, je n’osais réagir, puis, encouragée par un Monsieur fort de ses grognements, j’ouvrais avec une inspiration profonde. Le couloir était sombre et désert. J’allais allumer et jetais un regard par-dessus la rampe de l’escalier qui se lovait en spirale jusqu’en bas. Pas âme qui vive. De retour, je marchais sur une feuille de papier, je la ramassais. Un nouveau symbole. Je m’enfermais à double tour avant de poser le galet près de la feuille. Il n’y avait aucun doute, les deux coïncidaient, s’imbriquaient peut-être, se complétaient certainement. Un triangle dont la pointe va vers le bas. Cette géométrie harmonieuse m’inspirait la forme d’un sexe féminin.

L’orage continuait de sévir, les canalisations craquaient. Les doigts agiles de l’averse tambourinaient sur les vitres, tantôt dotés d’une sensibilité mélodieuse, tantôt intimant une rythmique libre comme les vents. Les gouttières, telles des gargouilles abstraites, crachaient des flots de paroles en hoquetant. Des vagues se créaient sur les façades luisantes. Les plantes bruissaient et réfléchissaient leurs vertes présences aux rebords des fenêtres. Vus du ciel, les parapluies poussaient en champignons multicolores et se déplaçaient dans un labyrinthe de ruelles. Les oiseaux ne chantaient pas. L’eau forte s’adoucissait, désormais, elle caressait avec magnétisme ce qu’elle pouvait atteindre. Au son du compte-gouttes, je notais la valeur des secondes en priant pour que la lumière revienne. La pluie poursuivait son errance en sifflant. Désormais, elle s’écrasait sur le sol avec mollesse. Les ténèbres étaient moins denses, les nues apaisées reprenaient de la distance. Les couleurs rutilaient. Les odeurs s’intensifiaient. Une lueur jaunâtre s’emparait de la ville tonifiée. Le jour se pointait à l’heure où la lune sortait de sa réserve, un jour en retard.


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lundi 23 novembre 2009

10 - 9 : Prophétie



10 – 9


Le quatrième jour.

J’essayais de reprendre une activité normale. Alors que ce rébus m’avait d’abord effrayée, puis absorbée, il commençait à s’instaurer en jeu codé du quotidien comme si j’avais pris plaisir à faire une grille de mots croisés devant une tasse de cappuccino et un carré de chocolat amer. En premier lieu : la déesse balafrée sur ma porte. Il devait s’agir d’un homme qui vénérait la femme au point de la trouver redoutable. La couleur rouge, celle du sang, de la menstruation, cette empreinte qui m’avait alertée, devait manifester sa peur de la vie, du courant alternatif, elle signait un état passionnel. Ensuite : le triangle tête en haut, traversé d’une ligne. Un personnage en robe ? Enfin : le triangle tête en bas, un réceptacle, un entrecuisse ? La femme était contée dans tous ses états, spirituelle (il l’avait déifiée), terrienne (il l’avait représentée telle une montagne rivée au sol, les bras en ligne d’horizon), sensuelle (il l’avait sexuée). Son esprit démontrait un goût pour la logique. Il n’avait pas dû choisir ce langage mathématique par hasard. J’échafaudais des théories invraisemblables issue de mon imaginaire dévorant. J’esquissais le portrait robot de mon prince de l’ombre. Il finissait par attiser ma curiosité. J’étais sur le qui-vive. Je succombais au charme de l’intouchable. L’intérêt que je lui portais, naissait de ma soif de savoir et de mon instinct aventurier. Il excitait mes sens et principalement le sixième. Il me fallait me frayer un chemin à l’aveuglette au gré des indices qu’il m’octroyait, pour tisser un réseau d’idées qui me rallierait à ses aveux. Nous vivions la genèse de notre relation. Genèse ou déluge ? Se formait entre nous l’embryon d’une connexion, un désir d’infini des possibles.


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lundi 16 novembre 2009

10 - 10 : Prophétie



10 – 10

Vers dix heures on me livra des fleurs, un rosier en pot. J’espérais que le livreur me donnerait une carte, un mot d’accompagnement, une pièce neuve au puzzle déjà composé, mais rien de la sorte ne lui avait été confié. Je le congédiais après l’avoir longuement défiguré. Son attitude grossière et désappointée m’avait convaincue qu’il n’avait pas d’autre rôle à jouer dans cette histoire. Embarrassée que j’étais par le lourd pot de terre, je le déposais tant bien que mal sur la table du salon. Fou d’enthousiasme, Monsieur créait un manège autour de mes jambes qui manqua de me faire perdre l’équilibre, résultat, par maladresse, le rosier fut ébranlé et alla se répandre sur le tapis. Je m’agenouillais dans la terre, les yeux levés au ciel et poussais un soupir d’irritation. Mes mains empoignèrent cette terre et son principe passif me calma. Sa douceur, sa soumission, la fermeté paisible qu’elle contenait me régénéraient. Je sentais l’humilité de l’humus. Je ressentais sa fonction maternelle, rassurante. Elle était celle qui donne la vie et qui la reprend, celle qui génère et celle qui digère. Encore un emblème de la fécondité ! La terre supporte tandis que le ciel couvre. Elle produit les formes vivantes. Elle fait germer les différences.

 
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lundi 9 novembre 2009

10 - 11 : Prophétie




10 – 11


Alors que je replantais tant bien que mal le rosier dans son pot, je découvris un papier roulé en cornet dissimulé entre les feuilles et les épines. Je l’extirpais en me piquant les doigts. Le nouveau symbole me fit immédiatement une impression de déjà vu, seul le sens déterminé par le point le différenciait du premier.

J’eus la vision stupide d’un panneau indiquant les toilettes des dames ; une femme stylisée avec un triangle en guise de robe. Cherchant à me protéger mentalement je souris. Entre mes mains, il devait s’agir de son alter ego, son pendant masculin. La carrure du personnage en imposait ainsi que la marque virile sous la ligne qui le ceinturait. Il se représentait enfin ! Ces deux pièces, si complémentaires, devaient s’imbriquer, se comprendre. Le petit Poucet se rapprochait à pas de loup. Plus l’intrigue avançait, plus sa présence s’intensifiait.

Je regroupais les indices sur mon bureau : le montage photo, le galet tel un presse-papier posé sur les feuilles encore mouchetées d’humidité et de terre, qui installaient progressivement cet inconnu chez moi. Je pouffais à la pensée qu’il disséminait ses objets dans la maison tel un amant qui aurait oublié son rasoir dans la salle de bain, me laissant une marque, une preuve de son passage clandestin. Puis j’avais trouvé mon romantisme inopportun et j’avais songé à me débarrasser de ces objets ensorcelés. Enfin, j’avais renoncé, secourue par la raison. S’eut été faire abnégation. Renoncer au dénouement. Impossible !


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lundi 2 novembre 2009

10 - 12 : Prophétie


10 – 12


Le cinquième jour.

Mes tartines de chèvre chaudes brûlaient à la cuisine. Je m’affolais, trop tard ! Les pompiers arrivèrent, précédés par leurs sirènes assourdissantes. Je soufflais sur la grille et dégageais avec peine le pain calciné. Un homme équipé escaladait la grande échelle. Il passait juste à mon niveau, son casque rutilait, le reflet d’un pigeon passait dans ce ciel de chrome. Que se passait-il donc ?

J’allais m’enquérir de la situation des maniques au bout des bras, auprès de la gardienne de l’immeuble ravie de se voir rejointe. Dans la rue s’exerçait une activité inhabituelle. Une foule s’était amassée et levait la tête, bouche bée, vers un habitat sous les toits de l’immeuble d’en face d’où s’échappait une dense fumée noire. La concierge cancanait pour elle-même. Nous assistâmes au triomphe des soldats du feu qui ressurgirent aussitôt un vieillard sur le dos et le descendirent sous un tonnerre d’applaudissements avant de le transférer à l’hôpital le plus proche.


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