lundi 4 juillet 2011

4 - 2 : L'Amour Ordinaire


4 – 2

Je n’ai pas trouvé ce que je cherchais, tant pis. Je décide de rentrer en prenant le métro Bastille. Un air glacé me saisit tandis que je longe les ateliers aux façades arrondies qui me renvoient mon image ainsi que les reflets mouvementés du Viaduc des Arts. La nuit amorce sa descente imperceptible sur Paris qui allume ses réverbères. J’arrive près de l’Opéra et m’engouffre au chaud pour aller vite choper ma rame, ligne 5 : direction Place d’Italie. Je reste debout pour mieux observer les occupants du wagon. Depuis toujours, j’assume très bien mon côté voyeur dans les transports en commun. Je cherche la place la plus appropriée pour ne pas subir d’angle mort et je fais baisser quelques regards à force d’insistance, ce qui me fait jouir secrètement. Dès que l’obscurité s’abat sur la capitale, je préfère les lignes aériennes collées aux immeubles. Je colle le bout de mon nez sur la vitre et pénètre l’intimité des ménagères entre deux portes, des jeux d’enfants sur les tapis, des cuisiniers en herbe, mais à l’esprit j’ai l’espoir de visualiser quelques scènes érotiques, un cadeau flash entre deux stations, un événement dans mon quotidien de solitaire. Quai de la Rapée : arrivée d’une très jolie brune. Elle ne quitte pas ses pieds des yeux comme si elle attendait leur signal pour s’enfuir à la prochaine correspondance. Je trouve que son manteau de laine rouge la met particulièrement à son avantage. Sa tête part légèrement en avant tandis que le train décélère, elle vérifie d’un œil la station et repart dans la contemplation des ses chaussures. Elle, n’a pas remarqué sa parfaite rivale montée lors de l’arrêt à la gare d’Austerlitz. Cette autre femme qui me fixe juste parce qu’il en faut un dans la masse qui puisse occuper son regard. Cette autre qui enrage de devoir encore faire face au reflet de la femme au manteau rouge (qui lui retire un peu de ce qu’elle est en cet instant précis) alors qu’elle lui a volontairement tourné le dos. Fait d’un malencontreux hasard, pour elles comme pour moi, ces deux femmes portent le même manteau. La première n’a rien remarqué absorbée qu’elle est par ses pensées, en revanche la seconde se sent agressée par cette comparaison possible. Elle se tient raide, debout, dos tourné à la première, oui, cette première arrivée qui la renvoie à la place de dauphine. Elle semble lutter contre la pression du wagon entier qui a remarqué, amusé, son infortune. Le rouge de son manteau lui monte aux joues et cette couleur qu’elle trouvait si vivante devient celle de la honte. Elle baisse la tête et se concentre sur le sol comme pour se faire oublier alors que la première relève le menton réveillée par les trépidations de la rame. J’ai à peine le temps de la voir rosir que son sosie disparaît sur le quai Saint-Marcel. Elle part s’asseoir dépitée sur un strapontin et ne se relève qu’au changement commun que nous faisons Place d’Italie, moi pour rejoindre Nationale où j’habite, et elle en route pour des aventures que je lui souhaite plus agréables.
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