lundi 6 juin 2011

4 - 6 : L'Amour Ordinaire


4 – 6

Mon café a refroidi dans son gobelet. Je referme mon dossier, me frotte le visage, les yeux, pousse un énorme soupir et m’étire de tout mon long. Les heures ont passé vite. Michel débarque dans mon bureau en grand échalas qu’il est. Nous passons devant la secrétaire en souriant et nous retrouvons au bout du couloir dans un des ascenseurs.
- « Il faut reconnaître qu’il ne fait pas chaud… »
- « Le vent me taille les oreilles en pointes. »
- « Allez-y, Mr Spoke ! »
J’ai toujours adoré cette brasserie. Nous y avons, tous les midis, nos habitudes que rien ne saurait déroger, nos places attitrées et le plat du jour en perpétuel menu.
- « Alors, raconte à ton pote ce qui te donne une mine pareille ! Crois-moi, je peux tout entendre puisque j’ai tout connu ! »
- « Arrête de me charrier comme ça… »
Et je lui raconte non pas mon rêve mais l’aventure d’hier.
- « C’est dingue ce que les femmes peuvent être chipies entre elles ! En tout cas mon gars, ce qui est sûr, c’est que pour une fois, espèce de tombeur, l’une d’entre ces demoiselles t’a bel et bien remarqué. Tu n’étais pas avec moi, c’est pour ça ! »
Mon tartare n’a pas fait de plis. Je me rince la gorge avec mon verre de Morgon, et repousse machinalement les miettes de pain vers le centre de la table.
- « Des cafés Messieurs ? »
- « Oui. Merci Marcel. »
Michel lui fait signe de nous apporter la note, ce qu’il fait.
Nous sortons affronter le frimas et fonçons sans nous adresser la parole. Ce n’est qu’une fois dans l’ascenseur que nous parvenons à décrisper les lèvres :
- « Que ferais-tu si tu croisais à nouveau ta dauphine ? »
Je réponds par une sorte de râle blasé et reprends le chemin du bureau en passant par les toilettes. Seul, face à la glace sous la lumière blafarde du néon, je me questionne. Je me lave les mains. Je les renifle après les avoir essuyées. J’ai toujours fait ça. Mon café froid m’attend avec mes dossiers. Sur toutes les pages ces mots semblent s’inscrire en lettres capitales :
« QUE FERAIS-TU SI TU LA CROISAIS À NOUVEAU ? »
Le célibataire endurci panique tandis que l’adolescent exalté refait surface. Tout serait possible… Mon cœur bat plus fort dans ma poitrine. Je ne suis pas à ce que je fais. Il règne une atmosphère singulière dans mon corps. Je la laisserais venir me parler. J’écouterais et je l’embrasserais… Non… J’en suis incapable !… Je l’ignore faussement… Elle me rattrape… Et je la prends dans mes bras… Non… C’est trop.
Je vais vers elle, mais elle commence à rire et ce rire m’agresse… M’oppresse… Me stresse… Me laisse…
Le téléphone sonne. Je réagis mollement. Je ne décroche pas. Je ne peux pas. Nous nous rapprochons au point que nos mains se frôlent, se caressent et finissent par se saisir. L’amour débute par de la chaleur. Elle rougit dans son manteau cramoisi. Je suis moi-même extrêmement troublé. Le monde ralentit sa course, nous descendons en marche pour inventer demain…
J’ai les yeux vitreux tant je suis ailleurs. Voici que je le réalise, aussi, je toussote bêtement pour me donner une contenance. Les heures ont progressé sans que j’aie avancé mon ouvrage. Je me concentre sur le peu qu’il m’est permis de mener à bien.


(.../...)



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